Histoire & Patrimoine pénitentiaire

Objets de violence ... fragments d'histoire de la prison

 

À travers une sélection d’objets issus des collections du Centre de ressources sur l’histoire des crimes et des peines, l’exposition « Objets de violence : fragments d’histoire de la prison » met en lumière des pratiques pénales et pénitentiaires aujourd’hui disparues. Pratiques inscrites dans la loi, souvent même considérées comme nécessaires aux objectifs assignés à la peine et à la prison, certaines d’entre elles nous apparaissent pourtant aujourd’hui porteuses d’une grande violence envers les personnes qui les subissent. Documents et images permettent de les replacer dans leur contexte historique pour comprendre les enjeux qui ont suscité leur apparition et les évolutions qui ont conduit à leur abandon. L’objet se fait ainsi le témoin éloquent de l’évolution du traitement de la peine et des conditions de vie en détention.

"On ne doit jamais oublier que le détenu juge la société d'après l'atmosphère de la prison.
Rendre cette atmosphère irrespirable, c'est lui donner raison dans sa révolte".

Pierre CANNAT, 1949

 

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Le box cellulaire

 
Par la contrainte corporelle qu’elle impose au détenu, enfermé dans une boîte étroite dont ne dépasse que la tête, la chapelle cellulaire illustre, de manière spectaculaire, une logique jusqu’au-boutiste de l’isolement, portée au nom de l’amendement et de la prévention de la récidive.

Après la chute du Second Empire (1870), les spécialistes s'accordent pour affirmer que la détention collective est l’école du vice et du crime. Il faut donc réduire la promiscuité dans les prisons pour limiter les risques de récidive. Le remède : la séparation et l’isolement des prisonniers, consacrés par la loi sur l’encellulement individuel du 5 juin 1875. La loi impose un isolement strict pour les détenus des prisons départementales, prévenus et condamnés à une peine inférieure à 1 an.

Box cellulaire, Collection Enap-Crhcp
La Confirmation à La Petite Roquette, extrait du Supplément illustré du Petit Journal, n°311, 1er novembre 1896 (Gallica)

Le travail, la religion et l’instruction doivent préserver le coupable du désespoir ou de la folie que pourrait créer cet isolement constant. Pour permettre l’organisation du culte, de l’enseignement et de conférences édifiantes et moralisatrices, on imagine donc dans certains établissements un système qui autorise le rassemblement des détenus dans un même espace tout en évitant les contacts ou les communications entre eux : ce sont les chapelles cellulaires.

En 1903, un médecin invité à Fresnes pour donner une conférence sur l’alcoolisme, décrit ainsi la chapelle :

« Figurez-vous une immense salle en gradins. Ces gradins sont élevés de trente centimètres environ les uns au-dessus des autres, comme d’immenses marches, et chaque gradin est une rangée de boîtes à l’ouverture de chacune desquelles apparaît une tête. Car c’est une des règles de la prison cellulaire : les prisonniers voient celui qui leur parle, celui qui parle les voit, mais entre eux les condamnés n’ont aucune communication ; ils ne peuvent s’apercevoir. Chacun d’eux se trouve isolé, seul avec le conférencier. Et ils sont ainsi plus de cent cinquante. […] Cet auditoire de têtes muettes, dont les yeux seuls bougent ; ces spectateurs sans corps, entre lesquels aucune communication ne s’établit ! Le spectacle est étrange ! ».

(Le Petit Parisien, 22 mars 1903)

A la prison de Fresnes : une conférence sur l’alcoolisme, extrait du Petit Parisien : supplément littéraire illustré, n°737, 22 mars 1903 (Gallica)
La prison de Fresnes, la chapelle : [photographie de presse] / Agence Meurisse, 1913 (Gallica)
La prison de Fresnes, la chapelle : [photographie de presse] / Agence Meurisse, 1913 (Gallica)
Maison d’arrêt de Fresnes : chapelle cellulaire, 1930 – Photographie d’Henri Manuel (Coll. Enap-Crhcp)
Maison d’arrêt de Fresnes : chapelle cellulaire, 1930 – Photographie d’Henri Manuel (Coll. Enap-Crhcp)
Maison d’arrêt du Puy en Velay : chapelle cellulaire, 2021 - Photographie de Jean-François Alonzo (Coll. Enap-Crhcp)
Maison d’arrêt du Puy en Velay : chapelle cellulaire, 2021 - Photographie de Jean-François Alonzo (Coll. Enap-Crhcp)
La Petite Roquette : chapelle cellulaire, vers 1930 - Photographie d’Henri Manuel (Coll. Enap-Crhcp)
La Petite Roquette : chapelle cellulaire, vers 1930 - Photographie d’Henri Manuel (Coll. Enap-Crhcp)
Chapelle de la petite Roquette : stalles cellulaires, gravure de Louis Montegut, extraite de « Les prisons de Paris et les prisonniers », par Adolphe Guillot, Paris : E. Dentu, 1890 (Coll. Enp-Crhcp)
Chapelle de la petite Roquette : stalles cellulaires, gravure de Louis Montegut, extraite de « Les prisons de Paris et les prisonniers », par Adolphe Guillot, Paris : E. Dentu, 1890 (Coll. Enp-Crhcp)
LYON : Transformation de la maison d’arrêt de Lyon en prison cellulaire : coupe de la chapelle-école, dressée par Henri Moncorger, architecte du département du Rhône, 1885 (Coll. Enap-Crhcp)
LYON : Transformation de la maison d’arrêt de Lyon en prison cellulaire : coupe de la chapelle-école, dressée par Henri Moncorger, architecte du département du Rhône, 1885 (Coll. Enap-Crhcp)
MENDE : Prison cellulaire à Mende : coupe de la chapelle-école sur MN, 1883 (Coll. Enap-Crhcp)
MENDE : Prison cellulaire à Mende : coupe de la chapelle-école sur MN, 1883 (Coll. Enap-Crhcp)

 

Pour aller plus loin

 
À travers l’épuration. Souvenirs de prison. Illustrés par Guy Hanro. Cellule 460. Fresnes [vers 1945]

Ce manuscrit exceptionnel, conservé dans les collections du Centre de ressources sur l’histoire des crimes et des peines, est composé d’une cinquantaine de feuillets illustrés et signés Guy Hanro. Les dessins ont été réalisés pendant l’emprisonnement de l’auteur à Fresnes et Saint-Martin-de-Ré.

La chapelle cellulaire de Fresnes est présentée en ces termes :

« O surprise pour tous ! Quelle est cette chapelle ?
Il n’y a point de bancs, encore moins de prie-Dieu,
Cabanons étagés, un regard au milieu,
Un autel haut dressé comme une passerelle.

Un gardien nous culbute en nos noires cellules
Nous sommes, deux par deux, entassés, compressés
Nous sommes bien cinq cents, dont l’esprit étonné
Attend de voir son Dieu par des trous ridicules.
 »

Consulter le document numérisé 

Pour en savoir plus sur ce manuscrit : Les prisons de l’Épuration dessinées par un détenu. Un document inédit (Jean-Claude Vimont), sur le site Criminocorpus

 

 

Parcours thématique du CRHCP : Emprisonnement individuel – débats 1840-1945

A travers une sélection de textes, de photographies et de plans d’établissements, ce parcours présente les débats et les points de vue des spécialistes autour de la question de l’emprisonnement individuel et de son application, depuis son introduction en France dans les années 1830-1840 jusqu’à la réforme pénitentiaire de Paul Amor (1945).

Accéder au parcours thématique

 

Sources :

  • TRONEL Jacky, La chapelle cellulaire en application de la loi du 5 juin 1875, in site Prisons-cherche-midi-mauzac.com, publié le 19/10/2013 https://prisons-cherche-midi-mauzac.com/des-prisons/la-chapelle-cellulaire-en-application-de-la-loi-du-5-juin-1875-14938 (page consultée le 10/11/2022)
  • SOPPELSA Caroline, Le XIXe siècle et la question pénitentiaire : un siècle d'expérimentations architecturales dans les prisons de Paris, Tours : Université François Rabelais, 2016 (Th. doct. : Histoire de l'art : Tours : 2016) , Chapitre « Chapelles dites cellulaires, alvéolaires ou à compartiments », P. 755-764

Le capuchon belge

 
Apparu en France en 1875, dans le cadre de l’application de la loi sur l’emprisonnement individuel, le capuchon belge vise à prévenir tout contact visuel entre détenus. Cet outil de prévention de la récidive fut surtout utilisé à Fresnes et disparut officiellement en 1950.

Après plusieurs années de débats intenses et une vaste enquête parlementaire sur son système pénitentiaire, la France adopte le 5 juin 1875 la loi sur l’encellulement individuel dans les prisons départementales. L’isolement des condamnés a pour but de lutter contre la récidive. Pour cela, on cherche à prévenir toute « contagion » du crime, toute corruption morale au sein des prisons alors souvent présentées comme de vastes « fabriques à récidive ».

Au-delà des nombreux projets de restructuration architecturale d’établissements existants et de la construction de nouveaux établissements cellulaires, des mesures viennent renforcer ce dispositif d’isolement des détenus. Parmi elles, l’adoption du capuchon belge.

Inspiré d’accessoires similaires déjà utilisés dans d’autres pays (Belgique, États-Unis, Angleterre), l’objet se présente sous la forme d’ « un capuchon fixé au collet du vêtement par une large bande de toile blanche. […] Il est d’une étoffe gris clair, et d’un tissu assez transparent pour permettre à celui qui le porte de distinguer les objets qui l’entourent tout en le dérobant aux regards de ceux qui voudraient distinguer ses traits (1). »

(1) L’Illustration, n°2616, 15 avril 1893

Capuchon belge. Réplique réalisée par Inge Zorn-Gauthier, artiste plasticienne (2022) - Collection Enap-Crhcp
A la prison d’Etampes : la promenade des détenus, dessin d’après nature de notre envoyé spécial - L’Illustration, n°2616, 15 avril 1893. Un détenu revient de la promenade, escorté par un gardien. Un autre détenu, allant ou revenant de promenade, toujours escorté par un gardien, est visible à l’étage. Pour ces déplacements, obligation leur est faite de porter le capuchon. A l’arrière-plan, assis sur un siège surélevé, le gardien surveille les cours de promenades individuelles.

Le condamné doit le rabattre sur son visage en tout lieu et toute circonstance où il est susceptible de croiser d’autres détenus. On veut ainsi empêcher toute communication, même visuelle, entre les détenus.

Dans un contexte où le détenu est déjà isolé en cellule et pendant les promenades, astreint à garder le silence, cette nouvelle contrainte est d’emblée dénoncée comme « une cellule dans la cellule » : un degré supplémentaire et inutilement dur dans la logique d’isolement.

De fait, de par « son caractère de contrainte corporelle en opposition avec les idées qui ont généralement cours chez nous (2)», le port du capuchon belge se répandra peu en France : il sera principalement utilisé à Fresnes, établissement emblématique du modèle cellulaire.

Le port du capuchon belge est officiellement aboli en France en 1950.

(2) CHOPPIN (Directeur de l’administration pénitentiaire), Rapport à Monsieur le Ministre de l’intérieur. Exécution de la loi du 5 juin 1875. Instruction pour la mise en pratique de la séparation individuelle dans les prisons départementales, 3 juin 1878

Convicts exercising at Pentonville Prison - Extrait de H. Mayhew and C. Bliny, The Criminal Prisons of London and scenes of prison life, 1862. A Londres, dans la prison de Pentonville, la communication visuelle entre détenus lors de la promenade est bloquée par l’usage qu’une visière surbaissée. La Belgique et la France ont préféré opter pour le capuchon belge, « préférable au bonnet à visière rabaissée qui n’empêche nullement de distinguer, avec un peu d’attention, les traits de celui qui le porte. » (Edou
Convicts exercising at Pentonville Prison - Extrait de H. Mayhew and C. Bliny, The Criminal Prisons of London and scenes of prison life, 1862. A Londres, dans la prison de Pentonville, la communication visuelle entre détenus lors de la promenade est bloquée par l’usage qu’une visière surbaissée. La Belgique et la France ont préféré opter pour le capuchon belge, « préférable au bonnet à visière rabaissée qui n’empêche nullement de distinguer, avec un peu d’attention, les traits de celui qui le porte. » (Edou
Maison d’arrêt de Fresnes : un détenu en cours de promenade individuelle - Photographie d’Henri Manuel, vers 1930 (Coll. Enap-Crhcp). Le détenu, en tenue pénale et sabots, a pu relever son capuchon une fois arrivé dans la cour de promenade individuelle. Il le baissera à nouveau en sortant de la cour et pour toute la durée de son déplacement vers sa cellule.
Maison d’arrêt de Fresnes : un détenu en cours de promenade individuelle - Photographie d’Henri Manuel, vers 1930 (Coll. Enap-Crhcp). Le détenu, en tenue pénale et sabots, a pu relever son capuchon une fois arrivé dans la cour de promenade individuelle. Il le baissera à nouveau en sortant de la cour et pour toute la durée de son déplacement vers sa cellule.
Maison d’arrêt de Fresnes : mouvement de détenus dans le couloir central - Photographie d’Henri Manuel, vers 1930 (Coll. Enap-Crhcp)
Maison d’arrêt de Fresnes : mouvement de détenus dans le couloir central - Photographie d’Henri Manuel, vers 1930 (Coll. Enap-Crhcp)
Maison d’arrêt de Fresnes : détenus attendant à la porte du prétoire - Photographie d’Henri Manuel, vers 1930 (Coll. Enap-Crhcp)
Maison d’arrêt de Fresnes : détenus attendant à la porte du prétoire - Photographie d’Henri Manuel, vers 1930 (Coll. Enap-Crhcp)
Maison d’arrêt de Fresnes : prise de sang - Photographie d’Henri Manuel, vers 1930 (Coll. Enap-Crhcp)
Maison d’arrêt de Fresnes : prise de sang - Photographie d’Henri Manuel, vers 1930 (Coll. Enap-Crhcp)
 
« Ce serait reculer devant la logique et risquer de compromettre les avantages moraux, aussi bien que les garanties sociales que doit donner l’isolement des condamnés, que de leur permettre de se voir, et, par conséquent, de se connaître. Né du sentiment des dangers que les rapports échangés dans la prison font courir à la société, des obstacles qu’ils opposent à la moralisation, des excitations qu’ils offrent à la corruption, des périls qu’ils jettent, après la libération, sous les pas des détenus, le système ne peut avoir son entière efficacité qu’autant que le condamné peut rentrer dans la vie libre sans avoir connu un seul autre détenu, sans risquer d’être reconnu par aucun. »
CHOPPIN (Directeur de l’administration pénitentiaire), Rapport à Monsieur le Ministre de l’intérieur. Exécution de la loi du 5 juin 1875. Instruction pour la mise en pratique de la séparation individuelle dans les prisons départementales, 3 juin 1878

Pour aller plus loin

 

Instruction pour la mise en pratique du régime de la séparation individuelle dans les prisons départementales. Suivi du Rapport à Monsieur de Ministre de l’Intérieur, par M. Choppin, Directeur de l’administration pénitentiaire, 3 juin 1878 (Coll. Enap-Crhcp)

Dans son rapport, le Directeur de l’administration pénitentiaire apporte une longue justification à l’adoption du capuchon dans les prisons françaises :

« Son innocuité parfaite, sous le rapport de l'hygiène, est consacrée par une expérience de plusieurs années dans un pays voisin ; les détenus qui ont le souci de leur relèvement ultérieur l'accepteront avec reconnaissance, et quant aux autres, si elle contribue à leur rendre la prison assez pénible pour leur inspirer la crainte d'y rentrer, c'est un résultat dont nous ne saurions nous plaindre. » (p. 26)

Consulter le document numérisé

 

Sources :

Le silence

 
Introduite en 1839 dans les maisons centrales, la règle du silence s’inspire des expériences américaines qui en font une condition nécessaire à l’amendement du condamné. Visant à supprimer toute « contagion » du crime, elle est la contrainte la plus redoutée comme la plus enfreinte par les détenus. Dénoncée comme une souffrance imposée aux condamnés, elle est supprimée par les réformes de 1971-1972.

Dans la première moitié du 19e siècle, les débats autour de la question pénitentiaire se nourrissent des expériences américaines contemporaines. Les deux grands modèles que viennent étudier les théoriciens du monde entier sont :

  • le modèle pennsylvanien, qui isole les détenus jour et nuit en cellule,
  • le modèle d’Auburn, qui isole les détenus la nuit mais les fait travailler la journée dans des ateliers collectifs.

Ces deux systèmes imposent pareillement un silence absolu aux condamnés.

Le silence, associé à la solitude, est présenté comme le gage de la moralisation du condamné. On considère en effet que le langage et la communication entre détenus sont vecteurs de corruption morale et favorisent la récidive.

D’autres préoccupations viennent justifier le silence imposé aux détenus :

  • il s’agit de renforcer le caractère afflictif de la peine et de la captivité ;
  • on considère que la vie du détenu doit être grave, exempte de toute distraction hormis le travail ;
  • le silence doit disposer le détenu à réfléchir, à écouter sa conscience pour l’amener au repentir ;
  • c’est évidemment aussi un outil disciplinaire : on veut éviter que les conversations ne dégénèrent en tumulte.
Maison d'arrêt de Montpellier : repas des détenus dans le couloir, 1930 - Photographie d’Henri Manuel (Coll. Enap-Crhcp)
« Article 1er. Le silence est prescrit aux condamnés. En conséquence, il leur est défendu de s’entretenir entre eux, même à voix basse ou par signes, dans quelque partie que ce soit de la maison. »

(Arrêté du 10 mai 1839 sur la discipline nouvelle à introduire dans les maisons centrales)

Maison centrale de Loos : messe dans la chapelle, 1930 - Photographie d’Henri Manuel (Coll. Enap-Crhcp)

Imposée en 1839 dans les maisons centrales et adaptée en 1841 pour les prisons départementales, cette règle du silence, la plus durement ressentie par les détenus, est aussi la plus difficile à faire appliquer. Chaque année, les statistiques pénitentiaires montrent que les infractions au silence sont, de très loin, les plus nombreuses.

Et, de fait, des voix s’élèvent très tôt pour dénoncer son caractère contre-nature et contre-productif :

  • contre-productif car le respect de cette règle impose un bras de fer permanent entre personnel pénitentiaire et détenus, là où les objectifs d’amendement puis de réinsertion appellent un climat de confiance ;
  • contraire à la nature de l’homme, car toute la tradition philosophique occidentale présente l’homme comme un être de langage, qui se construit dans la communication avec l’autre. Le priver de cette parole, c’est affecter l’ensemble de ses capacités rationnelles et relationnelles.

Comment le condamné pourra-t-il reprendre une activité sociale normale s’il en a été privé pendant le temps de sa peine ? C’est ce dernier argument qui va précipiter la suppression de la règle du silence en détention, dès la première grande vague de libéralisation des conditions de vie en détention, en 1971-1972.

Maison d'arrêt de Toulouse : détenues au travail, 1929 - Photographie d’Henri Manuel (Coll. Enap-Crhcp)
Maison d'arrêt de Toulouse : détenues au travail, 1929 - Photographie d’Henri Manuel (Coll. Enap-Crhcp)
Maison centrale de Melun : réfectoire, vers 1930 - Photographie d’Henri Manuel (Coll. Enap-Crhcp)
Maison centrale de Melun : réfectoire, vers 1930 - Photographie d’Henri Manuel (Coll. Enap-Crhcp)
Prison Sainte-Marguerite de Strasbourg : détenues cousant en salle commune, 1930 - Photographie d’Henri Manuel (Coll. Enap-Crhcp)
Prison Sainte-Marguerite de Strasbourg : détenues cousant en salle commune, 1930 - Photographie d’Henri Manuel (Coll. Enap-Crhcp)
La Maison centrale de Nîmes : ses organes, ses fonctions, sa vie / par le Dr Charles PERRIER. - Paris : G. Masson, 1896 - Ce tableau dénombre les infractions sanctionnées à la maison centrale de de Nîmes entre 1885 et 1894. On constate que, chaque année, les infractions au silence sont les plus nombreuses. Cela traduit l’extrême difficulté à faire appliquer cette règle et la résistance des détenus à cette injonction.
La Maison centrale de Nîmes : ses organes, ses fonctions, sa vie / par le Dr Charles PERRIER. - Paris : G. Masson, 1896 - Ce tableau dénombre les infractions sanctionnées à la maison centrale de de Nîmes entre 1885 et 1894. On constate que, chaque année, les infractions au silence sont les plus nombreuses. Cela traduit l’extrême difficulté à faire appliquer cette règle et la résistance des détenus à cette injonction.
Panneau « Le silence absolu est de rigueur », affiché dans les maisons centrales, Réplique réalisée par Laëtitia Eleaume, infographiste (2022), Collection Enap-Crhcp
Panneau « Le silence absolu est de rigueur », affiché dans les maisons centrales, Réplique réalisée par Laëtitia Eleaume, infographiste (2022), Collection Enap-Crhcp

 

Pour aller plus loin

 

 

Le silence en prison : réflexions d’un condamné / par A. E. Cerfberr. - Paris : Impr. Administrative de P. Dupont, 1847

Auguste-Edouard Cerfberr, inspecteur général des prisons et directeur de la maison centrale de Melun, publie en 1847 ce court roman où il prête sa voix à un détenu soumis à la règle du silence. L’ouvrage entend défendre et légitimer cette « heureuse innovation ». Après la révolte initiale suscitée par cette contrainte, le condamné, soutenu par l’aumônier, se range finalement à la « sagesse » de cette règle :

« La captivité doit être une épreuve et non une école de perversité. Le moyen de nous empêcher de nous corrompre est donc de nous isoler les uns des autres, et puisque nous sommes confondus dans les mêmes ateliers, les mêmes dortoirs, il faut bien nous prescrire le silence pour arriver à ce but suprême. » (p. 41)

« Le silence, en nous isolant les uns les autres, nous protège contre nos propres désordres. Le condamné qui veut se convertir et se purifier ne trouve plus d’obstacle à son repentir et à ses efforts. » (p. 137)

 

 

 

La fille Elisa / par Edmond de GONCOURT ; illustré par Georges Jeanniot. - Paris : E. Testard, 1895

Dans ce roman publié en 1877, Elisa, prostituée condamnée pour le meurtre de son amant, est incarcérée en maison centrale. Edmond de Goncourt, qui avait visité la maison centrale pour femmes de Clermont-sur-Oise 15 ans auparavant, y dénonce l’inhumanité du système carcéral, et notamment, la violence de la règle du silence imposée aux détenues. En témoigne les mots de l’auteur dans la préface : 

« Ici, je ne me cache pas d’avoir, au moyen du plaidoyer permis du roman, tenté de toucher, de remuer, de donner à réfléchir. Oui ! cette pénalité du silence continu, ce perfectionnement pénitentiaire, auquel l’Europe n’a pas osé cependant emprunter ses coups de fouet sur les épaules nues de la femme, cette torture sèche, ce châtiment hypocrite allant au-delà de la peine édictée par les magistrats et tuant pour toujours la raison de la femme, […] ce système Auburn, j’ai travaillé à le combattre avec un peu de l’encre indignée qui, au dix-huitième siècle, a fait rayer la torture de notre ancien droit criminel. Et mon ambition, je l’avoue, serait que mon livre donnât la curiosité de lire les travaux sur la folie pénitentiaire, amenât à rechercher le chiffre des imbéciles qui existent aujourd’hui dans les prisons de Clermont, de Montpellier, de Cadillac, de Doullens, de Rennes, d'Auberive, fît, en  dernier ressort, examiner et juger la belle illusion de l’amendement moral par le silence, que mon livre enfin eût l’art de parler au coeur et à l’émotion de nos législateurs. » (p. V-VII)

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La Maison centrale de Nîmes : ses organes, ses fonctions, sa vie / par le Dr Charles PERRIER. - Paris : G. Masson, 1896

Témoin et observateur de la vie en prison à la fin du 19e siècle, le docteur Charles Perrier (1862-1938) livre dans ses nombreux écrits une étude détaillée sur les détenus de la Maison centrale de Nîmes où il exerce entre 1888 et 1911.

« Le silence est toujours une règle absolue dans la prison ; il dispose, dit-on, les condamnés à la méditation, à la réflexion ; il les invite à écouter la voix de leur conscience, à sentir le remords. Mais pour qui sait combien les nouvelles, grandes ou petites, se propagent vite à l’intérieur de la prison, cette prescription est totalement illusoire. Le silence imposé pour prévenir la contagion est une « fiction substituée à la réalité », a dit d’Ortel, car il n’y a « pas de menaces, de craintes, de mesures de surveillance qui puissent empêcher des hommes journellement enfermés ensemble, travaillant côte à côte, au même ouvrage, de se communiquer, de s’entendre, d’échanger un mot à voix basse, un signe, un geste, un regard ». En outre, par l’entrave qu’elle apporte dans l’exercice de la parole, cette obligation nuit au libre jeu de l’acte respiratoire ; elle contribue à rendre le détenu de moins en moins sociable, fourbe et méfiant. » (p. 59-60)

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Voir le parcours virtuel sur Charles Perrier

 

 
Etudes sur la réforme et les systèmes pénitentiaires considérés au point de vue moral , social et médical / par le Dr J. Ch. HERPIN (de Metz). - Paris : Guillaumin : J.-B. Baillière et fils, 1868

L’auteur évoque la règle du silence absolu imposé par le système d’Auburn (p. 51-60). Il en dénonce les conséquences néfastes sur le moral et la santé des personnes détenues et pointe la discipline violente appliquée pour assurer le respect de cette règle (usage du fouet).

« La base du système d’Auburn est le silence, suite nécessaire et obligée de la communauté de travail. Il ne faut pas, en effet, que de longs entretiens, en dehors des besoins du travail commun, puissent permettre entre les condamnés, des conversations particulières qui amèneraient la contagion du vice, l’enseignement mutuel de l’art du crime et l’abandon des préoccupations salutaires du travail. Mais l’obligation de garder continuellement le silence, à laquelle on astreint les prisonniers, leur est pénible ; elle les irrite, les exaspère, les porte, pour s’en affranchir à user de tous les expédients, que la ruse, la fourberie et une profonde dissimulation peuvent leur suggérer. […] Un autre inconvénient en outre, que l’observateur et l’expérience ont fait connaître, c’est que, le silence dispose à la tristesse, à la mélancolie, aux affections dépressives ; et que, toutes choses égales d’ailleurs, les maladies sont plus nombreuses dans les établissements où l’on suit la règle du silence absolu, que dans les autres. » (p. 51).

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Sources :

  • CANNAT Pierre, « La règle du silence dans les établissements pénitentiaires où est appliqué le régime auburnien », in Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 1946, p. 327-329.
  • ARDOUREL CROISY Marion, « Parler en prison au XIXe siècle : la parole enfermée, un enjeu de pouvoir », in SARGA Moussa (dir.), Le XIXe siècle et ses langues, Actes du Ve Congrès de la Société des Études Romantiques et Dix-neuviémistes, publication mise en ligne en novembre 2013, http://etudes-romantiques.ish-lyon.cnrs.fr/wa_files/Langues-Ardourel.pdf
  • LE PENNEC, Anna, « Sous un sour silence » : « Une histoire sonore de l’enfermement au féminin dans les maisons centrales du Sud de la France, XIXe-début XXe siècles », in Socio-anthropologie, 2020, n° 41, p. 89-102.

Le travail pénal

 
La logique économique du travail pénal a pu, à certaines époques, dévoyer le sens de la peine. Au 19e siècle, le travail pénal, régi par le système de l’entreprise générale, est mis au service d’une rentabilité industrielle et abandonné à des intérêts privés qui ignorent les objectifs de réinsertion.

Dès l’apparition de la peine privative de liberté (1791), on lui associe le travail obligatoire, avec un double objectif de redressement moral et d’expiation. Le « travail pénal » donne donc pour partie sens à la peine : il permet au condamné d’expier son crime par le travail et de préparer son retour dans une société laborieuse. Pratiquement, le travail obligatoire est aussi un outil de gestion de la détention, puisqu’il maintient occupée une population pénale dont on craint l’oisiveté, et un outil disciplinaire éprouvé. Mais les choix et les orientations qui président à son implantation dans les prisons révèlent aussi un autre aspect, très éloigné de la philosophie pénale : l’intérêt économique.

Dès le début du 19e siècle, l’État choisit de déléguer une partie du financement et du fonctionnement des prisons à des entrepreneurs privés : c’est le système de l’entreprise générale. En échange des revenus tirés du travail des détenus, l’entrepreneur doit fournir aux détenus nourriture, vêtements, literie, chauffage, éclairage, soins … En pleine révolution industrielle, les prisons, et les maisons centrales en particulier, deviennent ainsi de vastes manufactures. 

Machine à tresser la corde, utilisée pour fabriquer des semelles d’espadrilles (vers 1890) Provenance : Maison centrale de Nîmes, Collection Enap-Crhcp

Cette prégnance de l’économie est consacrée par le rattachement éphémère de l’administration pénitentiaire au Ministère du Commerce et des Travaux publics (1831-1834).

Maison centrale de Montpellier : atelier de couture, 1930 – Photographie d’Henri Manuel (Coll. Enap-Crhcp)

Pour l’État, l’entreprise générale permet de réduire les coûts très élevés de l’emprisonnement. Pour les entrepreneurs, ce système permet de générer des revenus très importants, souvent obtenus au détriment des détenus : rythmes de travail harassants, périodes de chômage qui privent les détenus de ressources, denrées insuffisantes ou de mauvaise qualité, économies sur le chauffage … En 1847, le scandale de Clairvaux met en lumière des abus terribles : en 2 mois, 116 détenus meurent de famine ou de maladies liées à des denrées de mauvaise qualité.

En imposant une logique de profit au travail des détenus, le système de l’entreprise générale constitue un dévoiement du sens de la peine. Il consacre l’instrumentalisation de la population pénale à des fins économiques, très éloignées des missions affichées d’amendement ou de réinsertion. Les détenus sont traités comme des machines de travail, dont il faut rentabiliser la productivité au moindre coût.

Malgré des critiques nombreuses, l’entreprise générale perdure jusqu’à la fin du 19e siècle et ne sera supprimée qu’en 1927.

« L’intérêt privé devient le seul principe dirigeant un établissement auquel ne doivent présider que des vues d’intérêt général. Ce seul fait est un obstacle insurmontable à toutes les réformes salutaires […].

Alexis de Tocqueville, lors d’une visite à la maison centrale de Poissy, 1830 (cité dans J.-G. Petit, Ces peines obscures : la prison pénale, 1780-1875, Paris : Fayard, 1990, p. 327)

 Maison centrale de Melun : atelier de fabrication des toiles métalliques, 1908 (Coll. Enap-Crhcp)
Maison centrale de Melun : atelier de fabrication des toiles métalliques, 1908 (Coll. Enap-Crhcp)
Maison centrale de Melun : atelier de reliure et papeterie, 1908 (Coll. Enap-Crhcp)
Maison centrale de Melun : atelier de reliure et papeterie, 1908 (Coll. Enap-Crhcp)
Maison centrale de Montpellier : atelier de couture, 1930 – Photographie d’Henri Manuel (Coll. Enap-Crhcp)
Maison centrale de Montpellier : atelier de couture, 1930 – Photographie d’Henri Manuel (Coll. Enap-Crhcp)
Maison centrale de Fontevrault : atelier, vers 1930 - Photographie d’Henri Manuel (Coll. Enap-Crhcp)
Maison centrale de Fontevrault : atelier, vers 1930 - Photographie d’Henri Manuel (Coll. Enap-Crhcp)
Maison centrale de Fontevrault : atelier, vers 1930 - Photographie d’Henri Manuel (Coll. Enap-Crhcp)
Maison centrale de Fontevrault : atelier, vers 1930 - Photographie d’Henri Manuel (Coll. Enap-Crhcp)
 
Pour aller plus loin ...

 

De l'organisation du travail des condamnés dans les maisons centrales de France, par A. Peigne, 
in Revue pénitentiaire et des institutions préventives, Tome IV, 3e livraison (1847), P. 369-396

Dans cet article paru en 1847 dans la première revue française consacrée aux problématiques pénitentiaires, l’auteur fustige le système de l’entreprise générale : il pointe l’oubli des finalités morales du travail pénal et critique les exigences de productivité imposées à la main d’oeuvre pénale des maisons centrales.

« D’élément de moralisation, le travail, concédé aux entrepreneurs, et, par contre-coup, à leurs sous-traitants, est devenu la chose principale, la chose unique, dans les maisons centrales. C’est à ce point, que l’on ne s’inquiète plus que pour mémoire des résultats moraux obtenus sur les condamnés : la moyenne du produit de la main-d’œuvre, voilà la grande affaire ; et telle maison sera notée comme marchant mieux que telle autre, parce que le prix moyen gagné par chaque détenu aura été dans celle-là de 49 c. 82 m. par jour de travail, tandis que, dans celle-ci, il n’aura été que de 36c. 54 m. ! …
Cela est affligeant, mais cela est.
» (p. 384)

Consulter le document numérisé 

 

 

Les dérives d’un système : Le scandale de Clairvaux en 1847 / par Dominique FEY et Lydie HERBELOT , in Criminocorpus [En ligne], Varia, 2014

À compter du 13 juin 1847, un journal républicain local, Le Propagateur de l’Aube, publie une série d’articles sur la maison centrale de Clairvaux. Il y est question de détenus faméliques, hagards, qui mourraient par centaines depuis 1845, soit peu après l’installation des nouveaux entrepreneurs. C’est sans doute la première fois que des représentants de l’entreprise générale des services, chargée de l’entretien et du travail des prisonniers dans les prisons, se trouvent ainsi mis en cause aussi clairement. Des journaux nationaux, puis des députés de l’Assemblée nationale ayant pris le relais, l’affaire va donner lieu à un procès sans précédent. 

Lire l’article sur Criminocorpus 

 

 

« Le système du travail en régie est-il préférable, dans les établissements pénitentiaires, au système du travail par entreprise ? » :
Question posée lors du Congrès pénitentiaire international de Rome, 1885 (2e section, 6e question)

En 1883, la Société générale des prisons demande à ses membres de préparer les réponses aux diverses questions du programme du Congrès de Rome de 1885. Ces réponses sont publiées dans le Bulletin de la Société générale des prisons (mai 1883). Fernand Desportes, en charge de la question du travail, se montre très critique à l’égard du système de l’entreprise générale : 

« Nous avons le regret de constater qu’avec le régime de l’entreprise, le côté moral du travail pénitentiaire est entièrement sacrifié. L’amendement et le reclassement des détenus sont, peut-être, les choses auxquelles on songe le moins dans les maisons centrales. En tous cas, ce n’est pas l’entreprise qui pourrait y contribuer à un degré quelconque. Les maisons centrales ne sont pas, à vrai dire, des établissements pénitentiaires ; ce sont de vastes manufactures dans lesquelles des industriels cherchent à tirer le plus ample profit possible de la main-d’œuvre qu’ils achètent à l’Etat. Le détenu, organe involontaire de cette main-d’œuvre, n’est considéré que comme une force productrice […] L’entrepreneur n’est pas un philanthrope ; ne lui dites pas qu’il a charge d’âmes. C’est un spéculateur ; il vous répondra qu’en prenant l’entreprise d’une maison centrale, il fait une affaire, rien qu’une affaire qu’il traite avec l’Etat et dans laquelle il est en droit de cherche un bénéfice. L’entrepreneur aura raison, sans aucun doute ; mais la question sera de savoir si la mission de l’Etat vis-à-vis des condamnés est de faire des affaires et si c’est là le dernier mot de la science pénitentiaire. » (p. 591)

Consulter le document numérisé 

 

Sources :

  • PETIT Jacques-Guy, Ces peines obscures : la prison pénale en France, 1780-1875, Paris : Fayard, 1990
  • TACKUY Taïs, La revue pénitentiaire et le travail en prison sous la IIIème République (1878-1897), Bordeaux : Université de Bordeaux, 2010.  
  • PERRIER Charles, Travail et inspection générale en prison, in Archives d'anthropologie criminelle et des sciences pénales", tome 16, 1901, p. 229-254.

La tenue pénale

 
Dès 1791, les personnes condamnées à des peines de prison se voient confisquer leurs vêtements personnels et sont astreints au port d’une tenue pénale. Cette contrainte répond à des préoccupations sanitaires et sécuritaires. Mais elle est aussi un outil de stigmatisation, dont les effets néfastes sur la personne détenue et le sens de la peine conduiront à en supprimer l’usage en 1983.

 

La composition du costume pénal est remarquablement stable dans le temps : les règlements successifs listent à peu près les mêmes effets. Pour les hommes, il est composé d'une vareuse, un pantalon, un gilet, un béret, des chaussons et sabots ; Pour les femmes, il comprend une robe, un tablier, des bas de laine, un fichu, des chaussons et sabots.

Le tissu médiocre et rugueux utilisé pour sa confection donne son surnom à cette tenue : le « droguet ». Sa couleur peut varier, mais reste volontairement terne et peu salissante, oscillant entre le marron et le gris. À cela s’ajoute la coupe des cheveux pour les femmes et la tonte des cheveux, moustache et barbe pour les hommes. Le port de cet uniforme répond à deux enjeux principaux  :

  • sanitaire : il s’agit d’éviter de faire entrer en détention les éventuels maladies et parasites véhiculés par les vêtements des arrivants ;
  • sécuritaire : le retrait des effets personnels permet d’ôter au condamné tout objet qu’il pourrait utiliser contre le personnel, les autres détenus ou lui-même (boucle de ceinture, lacets …). Le port du costume pénal, très reconnaissable, et de sabots vise également à décourager et entraver les projets d’évasion.
Tenue pénale pour homme (vers 1930), Collection Enap-Crhcp
« Notre peine et notre vie passeront, mais la robe droguet ne passera point.
Le détenu n’use pas son vêtement : c’est le vêtement qui use son détenu. »

Albertine Sarrazin, La Cavale, 1964

Saint-Lazare (détenue), dessin de H . Monnier, extrait de « Les français peints par eux-mêmes : encyclopédie morale du dix-neuvième siècle ». Tome IV, Paris L. Curmer, 1841 (Coll. Enap-Crhcp)

Mais le port du costume pénal contribue surtout à une puissante stigmatisation du condamné. Marqué du sceau de l’infamie, il identifie l’individu à un groupe déviant, symboliquement exclu de la société. Il fait ainsi partie intégrante du châtiment.

Associé au numéro d’écrou qui neutralise l’identité de l’individu, il est aussi un outil de dépersonnalisation. Dans la société, le vêtement est en effet un support d’affirmation personnelle et sociale de l’identité, de la personnalité. Le costume pénal efface la personnalité, au profit d’une silhouette anonyme et avilie.

À partir de 1945, la réforme Amor impose l’idée que la prison doit respecter l’identité du détenu, qu’il s’agit là d’une condition nécessaire à tout effort de réadaptation sociale. La peine ne peut imposer à l’individu qui la subit un régime trop aliénant, qui l’éloignerait durablement de la société dans laquelle il est amené à retourner. On doit donc s’efforcer de limiter les contraintes aux seuls effets directs de la privation de liberté.

« Nous-mêmes, dans notre bure de la maison, nous sommes des feuilles mortes et c’est tristement que l’on passe parmi nous. Nous tombons en silence. »

Jean Genêt, Miracle de la rose, 1946

C’est ce hiatus entre la contrainte ségrégative imposée et la mission affirmée de réinsertion qui va amener un recul progressif du costume pénal. En 1975, on ne parle plus de costume « pénal », mais de « costume et effets fournis par l’administration ». La même année, les condamnés incarcérés dans les centres de détention nouvellement créés, et particulièrement orientés vers la réinsertion, sont autorisés à porter leurs propres vêtements en cellule.

Le décret du 26 janvier 1983 supprime définitivement le port de la tenue pénale pour tous les détenus.

Un condamné, gravure de Louis Montegut, extraite de « Les prisons de Paris et les prisonniers », par Adolphe Guillot, Paris : E. Dentu, 1890 (Coll. Enp-Crhcp)
 
« L’astreinte au port du costume fourni par l’administration apparaît comme la survivance d’une époque révolue, dominée par un état d’esprit ségrégatif.»

Nouvelle réglementation instituée par le décret 83-48 du 26 janvier 1983. Circulaire d’application du 28 janvier 1983

Maison centrale de Montpellier : détenues dans la chapelle, 1930 – Photographie d’Henri Manuel (Coll. Enap-Crhcp)
Maison centrale de Montpellier : détenues dans la chapelle, 1930 – Photographie d’Henri Manuel (Coll. Enap-Crhcp)
Maison d'arrêt de Metz : détenus au travail, vers 1930 - Photographie d’Henri Manuel (Coll. Enap-Crhcp). Sur cette photographie, on voit nettement la distinction faite entre condamnés et prévenus : les condamnés (au premier plan) portent la tenue pénale et les sabots, les prévenus (à l’arrière-plan) portent leurs effets personnels (chapeaux, chaussures …).
Maison d'arrêt de Metz : détenus au travail, vers 1930 - Photographie d’Henri Manuel (Coll. Enap-Crhcp). Sur cette photographie, on voit nettement la distinction faite entre condamnés et prévenus : les condamnés (au premier plan) portent la tenue pénale et les sabots, les prévenus (à l’arrière-plan) portent leurs effets personnels (chapeaux, chaussures …).
Maison centrale de Montpellier : trois détenues vues de dos, vers 1930 - Photographie d’Henri Manuel (Coll. Enap-Crhcp)
Maison centrale de Montpellier : trois détenues vues de dos, vers 1930 - Photographie d’Henri Manuel (Coll. Enap-Crhcp)
Maison centrale de Clairvaux : détenus dans une cour, 1931 – Photographie d’Henri Manuel (Coll. Enap-Crhcp)
Maison centrale de Clairvaux : détenus dans une cour, 1931 – Photographie d’Henri Manuel (Coll. Enap-Crhcp)
Maison d'arrêt de Fresnes : détenues en promenade – Photographie d’Henri Manuel, 1930 (Coll. Enap-Crhcp)
Maison d'arrêt de Fresnes : détenues en promenade – Photographie d’Henri Manuel, 1930 (Coll. Enap-Crhcp)
Le coucher des détenus – Diapositives pédagogiques utilisées dans le cadre de la formation des surveillants (vers 1970 ) (Coll. Enap-Crhcp). Pendant la nuit, le détenu doit laisser sa tenue pénale hors de la cellule.
Le coucher des détenus – Diapositives pédagogiques utilisées dans le cadre de la formation des surveillants (vers 1970 ) (Coll. Enap-Crhcp). Pendant la nuit, le détenu doit laisser sa tenue pénale hors de la cellule.
Maison centrale de Nîmes : détenus au prétoire, 1932 – Photographie d’Henri Manuel (Coll. Enap-Crhcp), On notera le numéro d’écrou cousu sur la manche de la veste.
Maison centrale de Nîmes : détenus au prétoire, 1932 – Photographie d’Henri Manuel (Coll. Enap-Crhcp), On notera le numéro d’écrou cousu sur la manche de la veste.
Maison centrale de Nîmes : détenus au prétoire - Photographie d’Henri Manuel, 1932 (Coll. Enap-Crhcp)
Maison centrale de Nîmes : détenus au prétoire - Photographie d’Henri Manuel, 1932 (Coll. Enap-Crhcp)
Au travail - Mazas, gravure de Louis Montegut, extraite de « Les prisons de Paris et les prisonniers », par Adolphe Guillot, Paris : E. Dentu, 1890 (Coll. Enp-Crhcp)
Au travail - Mazas, gravure de Louis Montegut, extraite de « Les prisons de Paris et les prisonniers », par Adolphe Guillot, Paris : E. Dentu, 1890 (Coll. Enp-Crhcp)

 

Témoignages

 

 

« Miracle de la Rose » / Jean Genêt.- Paris : L’Arbalète, 1993

« Ce costume se composait d’une veste en bure brune, sans col ni poches (sauf qu’un détenu avait percé la doublure et fait ainsi une sorte de poche intérieure). Toutes les boutonnières existaient. Tous les boutons manquaient. Cette bure était très usée, pourtant elle l’était moins que celle du pantalon réparé par neuf morceaux de drap dont l’usure était plus ou moins vieille. Il y avait donc neuf teintes différentes de brun. […] Le pantalon devait tenir par ses seuls boutons, sans bretelles ni ceinture, mais tous les boutons manquaient, et cela donnait au costume la tristesse d’une maison dévastée. Je me fis, à l’atelier, deux heures après mon arrivée, une ceinture en forme de corde avec du raphia, et, comme elle était saisie chaque soir par un gâfe, je recommençai … […] Le pantalon était trop petit pour moi. Il m’arrivait au mollet et laissait passer les jambes d’un caleçon long ou mes jambes nues et trop blanches. Le caleçon était en toile blanche, et marqué à l’encre grasse : A. P., ce qui veut dire administration pénitentiaire. Le gilet était en bure, brune aussi, avec une petite poche sur le côté droit. La chemise était sans col, en toile de drap très rude. Les manches étaient sans poignets. Pas davantage de boutons. Il y avait des taches de rouille que je craignis être des taches de merde. Elle était marquée A. P. On change de chemise tous les quinze jours. Les chaussons sont en bure brune. La sueur les rend rigides. Le calot plat est en bure brune. Le mouchoir est rayé de blanc et bleu. » (p. 16)

 

 
« Ancien détenu cherche emploi » / Henri Le Lyonnais,  Paris : Ed. du Jour, 1974

« La Cour de Cassation confirme en décembre 1948 le jugement des Assises. J’entre dans la catégorie des condamnés définitifs. Ce type de détenu ayant les cheveux rasés, je passe chez le coiffeur. Cette étape est toujours pénible et angoissante. […] La tondeuse, qui cliquète dans mes cheveux, me fait monter les larmes aux yeux. Le dernier espoir de m’en sortir s’en va avec ces mèches tombant au sol. La séance d’habillage, juste après, achève la dégradation. Comme tous les condamnés, je passe la tenue pénale en bure épaisse, chiffonnée et rude comme une grosse couverture. Les pantalons n’ont ni poche ni passant. La veste, sans col et sans remplis, est légèrement doublée aux manches et à mi-dos avec une petite poche intérieure. La chemise à manches courtes a dû être taillée dans une bâche tellement elle est rêche et froide. Les caleçons sont de la même confection. En guise de chaussures, j’écope de sabots en bois. Le tableau est complet lorsque je reçois le béret marron, en bure lui aussi. » (p.111)

Sources :

  •  JULLIEN Emmanuelle, Costume pénal ou vêtements personnels : Quel équilibre entre intérêt des détenus et missions de l'administration pénitentiaire ?, Mémoire, 29ème promotion de Directeurs (DSP), Agen, Énap, 2000, 69 p.
  •  SYR Jean-Hervé, « Une nouvelle réforme pénitentiaire : le décret 83-48 du 26 janvier 1983 modifiant certaines dispositions du code de procédure pénale », in Revue pénitentiaire, 1983, n°4, p. 367-381.
  •  BOULLANT François, « Droguets, bures et cilices (A propos de la tenue pénale) », in Actes. Cahiers d’action juridique trimestriels, 1982, n°37, p. 28-34.
  •  DELMAS SAINT-HILAIRE Jean-Pierre, « Les vêtements du détenu », in Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 1980, n°2, p. 471-479

Salle de discipline

 
Parmi les sanctions disciplinaires, la salle de discipline fut, pendant près de 80 ans, l’une des plus redoutées des détenus. Véritable épreuve pour le corps et l’esprit, cet exercice de marche forcée fut officiellement supprimé en 1947.

En 1842, une instruction offre aux directeurs de maisons centrales la possibilité d’innover en matière de sanctions disciplinaires, à la condition que les nouvelles punitions soient modérées. C’est dans ce contexte qu’apparaît, à la fin des années 1860, la punition dite « salle de discipline ». Organisée par une ordonnance du 20 mars 1873, cette sanction devient très vite la plus fréquemment prononcée dans les maisons centrales pour hommes. Jugée trop dure, elle ne sera jamais appliquée aux femmes.

La salle de discipline est une pièce fermée, sans chauffage, dans laquelle les détenus punis doivent marcher huit heures par jour, au pas cadencé et dans un silence absolu. On pratique tantôt une demi-heure de marche pour un quart d’heure de repos, tantôt une alternance de vingt minutes de marche et de repos. Le repos s’effectue assis et immobile, sur des plots étroits, talons collés au plot et mains plaquées sur les cuisses. Durant les trois premiers jours de la punition, l’alimentation du détenu est réduite au pain sec et à l’eau. La sanction peut être prononcée pour une durée allant jusqu’à 90 jours.

Maison centrale de Melun : salle de discipline, 1908 (Coll. Enap-Crhcp)
Circulaire d’ensemble du 20 mars 1873 – Code des prisons, tome V, 1873 (Coll. Enap-Crhcp)

Au vu du caractère physiquement éprouvant de cette sanction, notamment lorsqu’elle se prolonge sur plusieurs semaines, le médecin de l’établissement est invité à vérifier régulièrement l’état de santé des détenus qui y sont soumis.

La salle de discipline est la sanction disciplinaire la plus redoutée des détenus. Par elle, « les corps ne sont plus châtiés directement par le fouet ou les coups mais ils sont fatigués, épuisés. Cet épuisement doit […] conduire à la soumission la plus totale du détenu (1)». Il s’agit donc ici de mater, de discipliner les corps et les esprits des détenus les plus récalcitrants.

L’Inspection générale des services administratifs recommande de n’utiliser cette sanction que pour des faits dont la gravité est bien établie. La réalité est tout autre : les statistiques annuelles montrent que la salle de discipline figure parmi les sanctions les plus utilisées en maison centrale.

La salle de discipline fut supprimée en 1947, dans le grand mouvement de la Réforme Amor.

(1) ZAARAOUI Rachid, Les dispositifs corporels dans la moralisation du prisonnier aux XIXe et XXe siècles (1791-1937), Thèse de doctorat, Université de Bordeaux 2, Sciences et techniques des activités physiques et sportives, 2009, 372 p.

Maison centrale de Nîmes : salle de discipline, 1932 - Photographie d’Henri Manuel (Coll. Enap-Crhcp)
Maison centrale de Nîmes : salle de discipline, 1932 - Photographie d’Henri Manuel (Coll. Enap-Crhcp)
Maison centrale Clairvaux : salle de discipline, 1931 – Photographie d’Henri Manuel (Coll. Enap-Crhcp)
Maison centrale Clairvaux : salle de discipline, 1931 – Photographie d’Henri Manuel (Coll. Enap-Crhcp)
Maison centrale Clairvaux : salle de discipline, 1931 - Photographie d’Henri Manuel (Coll. Enap-Crhcp) On peut noter l’organisation particulièrement efficace de cette sanction, qui permet de sanctionner dans un même temps et un même espace, avec un minimum de moyens, un nombre important de détenus.
Maison centrale Clairvaux : salle de discipline, 1931 - Photographie d’Henri Manuel (Coll. Enap-Crhcp) On peut noter l’organisation particulièrement efficace de cette sanction, qui permet de sanctionner dans un même temps et un même espace, avec un minimum de moyens, un nombre important de détenus.
Maison centrale de Fontevrault : salle de discipline - Photographie d’Henri Manuel, vers 1930 (Coll. Enap-Crhcp)
Maison centrale de Fontevrault : salle de discipline - Photographie d’Henri Manuel, vers 1930 (Coll. Enap-Crhcp)
Maison centrale de Melun : salle de discipline - Photographie d’Henri Manuel, vers 1930 (Coll. Enap-Crhcp)
Maison centrale de Melun : salle de discipline - Photographie d’Henri Manuel, vers 1930 (Coll. Enap-Crhcp)

 

Focus sur...la maison centrale de Clairvaux 

 

 

Maison centrale de Clairvaux : salle de discipline, 1931 – Photographie d’Henri Manuel (Coll. Enap-Crhcp)

La posture de marche imposée aux détenus permet de souligner l’aspect afflictif de cette sanction disciplinaire :

- visage et regard doivent être tournés vers le sol, afin d’éviter toute distraction ou communication entre détenus (même si sur ce cliché, on peut voir que les regards parfois se cherchent ou vont chercher l’objectif du photographe).

- bras croisés sur la poitrine : cela amène le corps à se courber légèrement vers l’avant pour mieux diriger le regard vers le sol. Cela neutralise également le balancement naturel des bras et rend donc la marche plus pénible.

- marche cadencée : elle impose à cette marche punitive un rythme monotone et uniforme auquel le détenu doit se conformer mécaniquement.

Pour aller plus loin ...

 

La Maison centrale de Nîmes : ses organes, ses fonctions, sa vie / par le Dr Charles PERRIER. - Paris : G. Masson, 1896

Témoin et observateur de la vie en prison à la fin du 19e siècle, le docteur Charles Perrier (1862-1938) livre dans ses nombreux écrits une étude détaillée sur les détenus de la Maison centrale de Nîmes où il exerce entre 1888 et 1911.

Dans le chapitre VII, il évoque les punitions auxquelles sont soumis les détenus. La salle de discipline est créée au sein de l’établissement en 1875 pour « réprimer la paresse ». Les témoignages directs sur le fonctionnement de ces salles sont rares : la description qu’en fait Charles Perrier (p. 124-126) est donc particulièrement précieuse.

Consulter le document numérisé 

En savoir plus sur Charles Perrier

Sources :

  • HUARD-HARDY Fabienne, Le « Manuel des prisons : regards sur le prisons de l’Entre-deux-guerres », Agen, Presse de l’Enap, 2017
  • LAMBERT Gérard, Le mitard : une approche sociologique de la discipline pénitentiaire, Paris : L’Harmattan, 2015

Colonies pénitentiaires pour mineurs

 
Mettray, Aniane, Belle-Ile-en-Mer … Ces noms évoquent une période particulièrement sombre de l’histoire pénitentiaire. Au sein de ces colonies, enfants et adolescents ont été soumis, pendant un siècle, à un traitement souvent violent, mêlant travail harassant, sévices et privations. Ces « bagnes pour enfants », très critiqués mais jamais vraiment réformés, disparaissent en 1945, date qui marque un changement complet de paradigme pour la prise en charge de la délinquance juvénile.

La question de la prise en charge de l’« enfance coupable » traverse l’histoire pénitentiaire. À partir des années 1840, la solution privilégiée consiste à placer les enfants, à partir de 7 ans, dans des colonies pénitentiaires agricoles. Dans ces établissements sans barreaux, loin de l’influence corruptrice des villes, les enfants sont mis au travail et reçoivent une éducation morale, religieuse et professionnelle qui doit leur permettre de réintégrer la société, transformés. Mais les discours philanthropiques et les bonnes intentions réelles de certains peinent à cacher une réalité souvent sordide : ces colonies, fondées par des entrepreneurs privés, gros propriétaires terriens, constituent des réservoirs de main d’oeuvre à bon marché. L’instruction passe vite au second plan, et les autorités, complaisantes, ferment les yeux sur les abus et les maltraitances qui s’y commettent.

Tenue pénale pour jeune colon. Collection Enap-Crhcp
« C’est la forme disciplinaire à l’état le plus intense, le modèle où se concentrent toutes les technologies coercitives du comportement.
Il y a là « du cloître, de la prison, du collège, du régiment ».

Michel Foucault évoquant la colonie pénitentiaire de Mettray dans Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975 (p. 300)

Colon – Photographie d’Henri Manuel, vers 1930 (Collection Michel Basdevant)

La loi du 5 août 1850 sur l’éducation et le patronage des jeunes détenus consacre et encourage le développement de ce mode de prise en charge. L’État s’engage à son tour en créant les premières colonies publiques. Malheureusement, cela n’améliore pas le sort des enfants, soumis à des conditions de vie terribles : travail harassant, insalubrité, privations, discipline quasi militaire, personnel brutal, violence entre colons ... Malgré le règlement général de 1869 interdisant les châtiments corporels et trois circulaires successives en 1898 visant à mettre fin à ces sévices, les abus persistent et finissent par attirer les critiques de la presse et de l’opinion. Un décret du 27 décembre 1927 requalifie ces colonies en maisons d’éducation surveillée (MES). Mais, dans les faits, rien ne change : le personnel et les méthodes restent les mêmes. La décennie qui suit signe une période noire au sein de ces « bagnes pour enfants » : tentatives d’évasion et rébellions se multiplient, toutes réprimées avec une extrême violence.

En 1942, le Gouvernement de Vichy supprime les MES et les transforme en institutions publiques d’éducation surveillée (IPES) : on y introduit des méthodes nouvelles en créant des fonctions de moniteurs éducateurs.

L’ordonnance du 2 février 1945 opère une rupture définitive avec le modèle ancien : l’éducation devient la règle, l’incarcération, l’exception. La prise en charge des mineurs est soustraite à l’administration pénitentiaire et confiée à une nouvelle direction, l’Education surveillée, qui recrute un personnel formé à sa mission auprès des jeunes.

« Bagnes d’enfants », couverture du journal Détective, n°316, 15 novembre 1934 Dans les années 1920 et 1930, la presse s’empare du sujet des colonies pénitentiaires et dénonce avec vigueur le sort réservé aux mineurs enfermés dans ces « bagnes pour enfants ». Les deux grands noms du journalisme qui ressortent de ces campagnes sont ceux de Louis Roubaud et Alexis Danan.
Colonie de Mettray : vue générale de la colonie - Extrait de : Colonie agricole et pénitentiaire de Mettray, illustré par A. THIERRY [1844]
Colonie de Mettray : vue générale de la colonie - Extrait de : Colonie agricole et pénitentiaire de Mettray, illustré par A. THIERRY [1844]
Maison d’éducation surveillée de Saint-Hilaire : pupilles cassant des cailloux, vers 1930 – Photographie d’Henri Manuel (Collection Michel Basdevant)
Maison d’éducation surveillée de Saint-Hilaire : pupilles cassant des cailloux, vers 1930 – Photographie d’Henri Manuel (Collection Michel Basdevant)
Maison d’éducation surveillée d’Eysses : pupille regardant à travers les barreaux, vers 1930 - Photographie d’Henri Manuel (Collection Michel Basdevant). La MES d’Eysses a un statut particulier : elle est « quartier correctionnel », c’est-à-dire qu’elle accueille les pupilles d’autres colonies considérés comme difficiles. Les adolescents (16-21 ans) y subissent une discipline particulièrement sévère et les traitements les plus rudes. Dans l’argot des colons, « aller défiler à Eysses » est la pire des perspe
Maison d’éducation surveillée d’Eysses : pupille regardant à travers les barreaux, vers 1930 - Photographie d’Henri Manuel (Collection Michel Basdevant). La MES d’Eysses a un statut particulier : elle est « quartier correctionnel », c’est-à-dire qu’elle accueille les pupilles d’autres colonies considérés comme difficiles. Les adolescents (16-21 ans) y subissent une discipline particulièrement sévère et les traitements les plus rudes. Dans l’argot des colons, « aller défiler à Eysses » est la pire des perspe

 

Pour aller plus loin

 

 

La maison paternelle de Mettray 

En 1908 et 1909, le journal satirique L’Assiette en beurre consacre deux numéros à l’enfance coupable et à sa prise en charge. Les auteurs et dessinateurs du journal y dénoncent avec un humour féroce le traitement pénal et pénitentiaire infligé aux mineurs, notamment au sein de la Maison paternelle de Mettray.  Ouverte en 1855, cette institution, distincte de la colonie pénitentiaire, recevait les enfants insoumis des familles aisées (correction paternelle).

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La Chasse à l’enfant, de Jacques Prévert (1936 ; publié dans le recueil « Paroles » en 1946)

Ce poème de Jacques Prévert évoque la mutinerie qui eut lieu en août 1934 à la maison d’éducation surveillée de Belle-Île-en-Mer : à la suite d’une punition infligée à l’un des leurs, 56 pupilles s’évadèrent de l’établissement. Habitants et touristes, attirés par la récompense promise pour chaque enfant ramené à l’administration pénitentiaire, pourchassèrent les enfants : tous furent ramenés dans l’établissement.

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Qu'est-ce que c'est que ces hurlements
Bandit ! Voyou ! Voyou ! Chenapan !
C'est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l'enfant
Il avait dit "J'en ai assez de la maison de redressement"
Et les gardiens, à coup de clefs, lui avaient brisé les dents
Et puis, ils l'avaient laissé étendu sur le ciment
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Maintenant, il s'est sauvé
Et comme une bête traquée
Il galope dans la nuit
Et tous galopent après lui
Les gendarmes, les touristes, les rentiers, les artistes

Extrait de La Chasse à l’enfant, de Jacques Prévert (1936 ; publié dans le recueil Paroles en 1946)

 

 

 

Louis ROUBAUD, Les enfants de Caïn, Paris, Grasset, 1925

En 1924, le journaliste Louis Roubaud, après avoir visité Eysses, Belle-Ile et Doullens, déclenche une campagne de presse dans le Quotidien de Paris, pour dénoncer les sévices et abus dont sont victimes les jeunes détenu(e)s dans ces « bagnes d’enfants ». Ses articles sont publiés en volume en 1925 sous le titre Les enfants de Caïn.

Il est à noter que Louis Roubaud connaît bien le sujet : il fut lui-même pupille de la « maison paternelle » de  Mettray.

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« Eysses la maudite »

Ce numéro du Lien, fruit de la collaboration entre les Archives départementales de Lot-et-Garonne et l’Enap, évoque les heures sombres des établissements pénitentiaires pour mineurs d’avant-guerre, à travers l’exemple de la maison d'éducation surveillée d’Eysses. Le dossier revient notamment sur « l’affaire Abel », en mars 1937, qui va remettre en cause tout un système de pénalités appliquées aux mineurs délinquants et précipiter la fermeture d’« Eysses la maudite ».

Le lien, n°6, avril 2016 - Dossier réalisé par Jean-Michel Armand (CRHCP – Enap), avec la participation d’Isabelle Brunet et de Pascal De Toffoli (Archives départementales de Lot-et-Garonne)

Consulter le document numérisé 

 

https://www.enap.justice.fr/histoire/les-ecoles-de-preservation

Parcours thématique du CRHCP : Les écoles de préservation

Si la loi « Corne » de 1850 instituait des colonies pénitentiaires publiques pour les garçons et des maisons pénitentiaires pour les filles, ces dernières furent très peu nombreuses puisque les « mauvaises filles » étaient majoritairement prises en charge par des œuvres religieuses telle que celle du Bon Pasteur.

L’administration pénitentiaire n’ouvrit que trois établissement pour filles : Doullens, Clermont de l’Oise et Cadillac.

Accéder au parcours thématique 

Sources :

  • PIERRE Eric, « Les colonies pénitentiaires pour jeunes détenus : des établissements irréformables (1850-1914) », in Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière », 2003, n°5, p. 43-60.
  • ARMAND Jean-Michel, BRUNET Isabelle, DE TOFFOLI Pascal, « Eysses la maudite », in Le Lien, 2016, n°6
  • YVOREL Jean-Jacques, Brève histoire de l'hébergement des mineurs de justice, in Les Cahiers Dynamiques 2006, n° 37, p. 24-27
  • Portail "Enfants en justice XIXe-XXe siècles" : le Portail « Enfants en Justice XIXe-XXe siècles » vise à promouvoir l’histoire de la Justice des mineurs en mettant à disposition de tous des outils documentaires et des corpus thématiques raisonnés. Cette présentation s’appuie sur des ressources variées et référencées : images, archives écrites, coupures de presse, films, vidéos, dessins, objets…

La loi du 27 mai 1885 instaurant la relégation

 

Votée à une écrasante majorité par les députés d’une Troisième République soucieuse de répondre au problème de la récidive, la loi de 1885 sur la relégation condamne des délinquants multirécidivistes, jugés « incorrigibles », à un « internement perpétuel sur le territoire des colonies ». La majorité des relégués exécuteront cette peine dans les bagnes, astreints aux travaux forcés qui sanctionnent normalement les crimes les plus graves.

Eloigner les « indésirables » est une pratique pénale ancienne, que l’essor des empires coloniaux a réactivée à partir du 18e siècle. Au milieu du 19e siècle, au moment où d’autres pays, comme l’Angleterre, abandonnent ces mesures d’éloignement, la France du Second Empire choisit cette solution pour deux catégories de condamnés :

  • les condamnés politiques (déportation)
  • les condamnés aux travaux forcés des bagnes métropolitains, qui exécuteront dorénavant leur peine dans des bagnes outre-mer : c’est la transportation (loi du 30 mai 1854)

Les promoteurs de la transportation vantent ses mérites multiples : elle assure la sécurité de la métropole, permet le développement des territoires colonisés et offre une voie de « régénération » pour les condamnés. Mais la réalité est bien différente : envoyés en Guyane puis en Nouvelle-Calédonie, les transportés sont décimés par le climat, les maladies et les travaux pénibles.

Commentaire pratique de la loi du 27 mai 1885 sur la relégation, par Gustave Le Poittevin, Paris : A. Rousseau, 1886 (Extrait du Journal des Parquets 1886), Collection Enap-Crhcp

En dépit de ces résultats désastreux, en 1885, la France soumet une nouvelle catégorie de condamnés à cette « politique du débarras » (1) : les multirécidivistes. Le législateur opte, par la loi du 27 mai 1885, pour la relégation outre-mer de ceux qu’il qualifie d’« incorrigibles » : au-delà d’un nombre de condamnations défini par la loi, le récidiviste, à l’issue de sa peine d’emprisonnement, est exilé à perpétuité dans une colonie, et, s’il ne peut subvenir à ses besoins, astreint aux travaux forcés dans le bagne de la colonie.

(1) LUCAS Charles, La Transportation pénale ou la Politique du débarras : rapport verbal à l'occasion de la notice publiée par le ministère de la Marine sur la Guyane française et la Nouvelle-Calédonie : séance du 16 février 1878 / - Orléans : Impr. E. Colas, 1878

Extrait des registres matricules de la relégation (Fonds Louis Roure) M. D. est condamné le 3 mai 1937 à 4 mois de prison et à la relégation pour vol et infraction à l’interdiction de séjour. Le décompte de ses condamnations antérieures fait état de 14 condamnations antérieures pour vol, escroquerie et infraction à l’interdiction de séjour (dont seules 4 sont comptabilisées pour l’application de la relégation). Au terme de sa peine, il est envoyé en Guyane, où il arrive le 14 décembre 1938.

La relégation frappe en majorité des individus condamnés pour des délits mineurs, souvent liés à la misère (vol, vagabondage, mendicité). Elle bouleverse ainsi l’échelle des peines en soumettant ces petits « délinquants d’habitude » à une peine qui sanctionne normalement les crimes les plus graves.

La relégation pose également le principe, particulièrement violent, qu’au-delà d’un seuil quantifié de récidive, un individu peut être considéré comme « irrécupérable », et que la société peut alors s’autoriser à lui appliquer une politique d’élimination physique de fait.

Conscients de l’extrême dureté de cette mesure de sûreté, nombre de magistrats hésiteront à l’utiliser. La relégation est supprimée pour les femmes dès 1907. Pour les hommes, le dernier convoi de relégués part pour la Guyane en 1938, l’année-même où l’on abolit la transportation, marquant ainsi la fin officielle des bagnes coloniaux. La peine de relégation, elle, demeure, mais elle est dorénavant exécutée dans les maisons centrales de la métropole. Elle ne disparaît définitivement qu’en 1970.

Entre 1885 et 1953, date de retour en métropole des derniers bagnards, 22 000 hommes et femmes ont été relégués dans les bagnes de Guyane et de Nouvelle-Calédonie.

« Si l’on se place en 1885, dans les termes du débat d’alors, ce qui nous choque le plus c’est l’hypocrisie. Il n’existe au fond que deux types de justice criminelle : la justice d’insertion et la justice d’élimination. Le vrai scandale du bagne, en 1854 sans doute mais plus encore en 1885, parce que l’expérience est acquise et que la République est au pouvoir, c’est que l’on a fait passer pour une justice d’insertion sociale ce qui était de la justice d’élimination physique. »

Robert Badinter (dans : Le temps des bagnes, Les collections de l’Histoire, juillet 2014)

 Le camp des relégués après l’appel (carte postale – Fonds Louis Roure) Séparés des transportés, les relégués sont internés dans le camp de Saint-Jean-du-Maroni ou dans un de ses camps annexes.
Le camp des relégués après l’appel (carte postale – Fonds Louis Roure) Séparés des transportés, les relégués sont internés dans le camp de Saint-Jean-du-Maroni ou dans un de ses camps annexes.
Saint-Jean-du-Maroni : prison et cases (carte postale – Fonds Louis Roure)
Saint-Jean-du-Maroni : prison et cases (carte postale – Fonds Louis Roure)
Dessin de Jules Marcel, Extrait du manuscrit « Ma vie … Jeunesse et 30 ans» de Jules Marcel, 1931 (Fonds Philippe Zoummeroff). En mai 1931, l’auteur est condamné pour vol qualifié à 5 ans de prison et à la relégation. Sur ce dessin, il définit ainsi le relégué : « jamais innocent ». Cela traduit parfaitement la politique appliquée à ces multirécidivistes considérés comme incorrigibles et irrécupérables : ils devront vivre en portant à jamais le stigmate de la récidive.
Dessin de Jules Marcel, Extrait du manuscrit « Ma vie … Jeunesse et 30 ans» de Jules Marcel, 1931 (Fonds Philippe Zoummeroff). En mai 1931, l’auteur est condamné pour vol qualifié à 5 ans de prison et à la relégation. Sur ce dessin, il définit ainsi le relégué : « jamais innocent ». Cela traduit parfaitement la politique appliquée à ces multirécidivistes considérés comme incorrigibles et irrécupérables : ils devront vivre en portant à jamais le stigmate de la récidive.
 
Pour aller plus loin

 

Commentaire pratique de la loi du 27 mai 1885 sur la relégation / par G. LE POITTEVIN, Paris : Rousseau, 1886

En 1885, Pierre Waldeck-Rousseau, Ministre de l’Intérieur, défend ainsi la loi dont il est le promoteur :

« Je crois fermement, profondément, ce qui est la raison d’être de la loi elle-même, qu’il y a des natures incorrigibles, des hommes vis-à-vis desquels il faut prendre des mesures spéciales et pour lesquels les peines ordinaires ne suffisent pas. »

Consulter le document numérisé 

 

 

De colons à bagnards : la relégation des récidivistes en Guyane française / Jean-Lucien Sanchez, in Cahiers d’études pénitentiaires et criminologiques, n° 39, octobre 2013

La loi sur la relégation des récidivistes, promulguée le 27 mai 1885, a entraîné pendant près de soixante-six ans l’envoi au bagne de délinquants et de criminels récidivistes. De 1887 à 1953, 22 163 relégués subirent leur peine de relégation au sein des bagnes coloniaux de Guyane et de Nouvelle-Calédonie. Cette loi est la première inscription dans le code pénal français de la notion de "dangerosité". C’est effectivement des délinquants et des  criminels récidivistes considérés comme dangereux que la loi cherche à atteindre en empêchant les crimes et les délits qu’ils seraient susceptibles de commettre à  l’avenir. Néanmoins, cette mesure a essentiellement frappé des petits délinquants récidivistes condamnés pour des motifs de vol simple, de vagabondage et de rupture de ban. Elle demeure à ce titre une des lois les plus répressives et les plus sévères jamais contenues dans le code pénal français.

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Le Livre du bagne, 1901

Conservé dans les collections du Crhcp, Le Livre du bagne est un manuscrit exceptionnel de 139 pages, rédigé entre le 18 juillet et le 15 octobre 1901 par un bagnard dont le nom nous reste inconnu.

Un témoignage exceptionnel, présenté dans une version numérique enrichie

Consulter le livre numérique : Le livre du bagne

 

Sources :

  • PETIT Jacques-Guy, FAUGERON Claude, PIERRE Michel, Histoire des prisons en France : 1789-2000, Toulouse : Privat, 2002
  • Le Temps des bagnes, Les Collections de L’Histoire, juillet 2014, n°64
  • SANCHEZ Jean-Lucien, Les « incorrigibles » du bagne colonial de Guyane, in Genèses, 2013, n°2, p. 71-95
« En somme, c’est une question de mesure. Dominer les détenus, telle doit être la préoccupation constante du personnel, mais on domine bien mieux par la force morale que la contrainte. [Il convient de] concilier le principe d’autorité et ce respect de la personne humaine que ne doit jamais perdre de vue quiconque a la charge de ses semblables. Violenter la nature humaine ce n’est pas relever un homme, c’est le pousser plus bas. Or aucune faute passée ne justifie ce geste. Il n’y a pas d’homme déchu. »

Pierre Cannat, magistrat et contrôleur général des services pénitentiaires, 1946