Histoire & Patrimoine pénitentiaire

Jean Pinatel criminologue 1913-1999

Jean Pinatel, criminologue

Parcours de Jean Pinatel

A l’occasion de la commémoration en 2013 du 100e anniversaire de sa naissance et des 60 ans de la publication de son ouvrage qui présente le concept de base de la criminologie clinique, « Le problème de l’état dangereux » (1954), le Centre de ressources sur l’histoire des crimes et des peines propose ce parcours sur Jean Pinatel (1913-1999), considéré comme un criminologue majeur du 20e siècle.

Etudiant, Jean Pinatel s’oriente vers des études de droit, couronnées par un doctorat en 1935. Il entre dans la magistrature puis rejoint le Ministère de la Justice pour participer activement à la réorganisation de l’Education surveillée. Ami de Jean Chazal, il prend part à la mise en œuvre de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante.

Reçu major au Concours de l’Inspection générale de l’Administration, il exerça cette fonction durant toute sa carrière. Par la compétence acquise en inspectant les prisons, il fit tout naturellement partie de la Commission Amor chargée de la réforme du système pénitentiaire français. C’est de cette expérience qu’est né son « Précis de science pénitentiaire », devenu en 1950, « Traité élémentaire de science pénitentiaire et de défense sociale ». Il est donc venu à la criminologie par la voie de la « science pénitentiaire » et a toujours souhaité allier par la suite sa pratique de haut fonctionnaire de l’Etat à son activité scientifique et théorique de criminologue.

C’est plus particulièrement son œuvre de criminologue que l’Enap souhaite valoriser, avec la complicité de ses élèves et amis Robert Cario, Jocelyne Castagnède et Paul Mbanzoulou et le partenariat de l’Institut français pour la justice restaurative (IFJR) à Pau à qui Jean Pinatel a fait don de sa bibliothèque.

Jean Pinatel, criminologue



On trouvera dans ce parcours :

  • la recension de ses principales œuvres dont une partie est accessible en ligne
  • un tour d’horizon de l’évolution de la criminologie durant le 19e et 20e siècle à laquelle a pris part Jean Pinatel , à travers une bibliographie commentée.


Lire l'article de Robert Cario, Jocelyne Castagnède et Paul Mbanzoulou

Consulter la bibliographie : Criminologie - psychiatrie criminelle

Liste des principaux écrits de Jean Pinatel

 

« Chronique de criminologie »

Dans la Revue de science criminelle et de droit pénal (1946-1980)

Tirés à part de la Revue de science criminelle et de droit pénal comparé de 1965 à 1977,
Paris : Sirey, 372 p. :

1ère partie de 1965 à 1970

2ème partie de 1971 à 1977

On peut également retrouver les chroniques écrites par Jean Pinatel avec les autres chroniques de la revue de 1946 à 1995 en ligne en cliquant ici

Exposé oraux de droit pénal
cours donné par Jean Pinatel, [1938], 454 p.

Les institutions publiques d’éducation surveillée
Rapporteur Jean Pinatel, [1945], 181 p.

Précis de science pénitentiaire : législation pénitentiaire, administration pénitentiaire, problème de criminalité juvénile
Paris : Librairie du recueil Sirey, 1945, 436 p.

Le nouveau statut du personnel de l'éducation surveillée
Revue de l’éducation surveillée, n°1, mars-avril 1946, p. 52-63.

La vie et l’œuvre de Charles Lucas
Revue internationale de droit pénal, 1947, Paris : Recueil Sirey, N°2, p. 123-154.

Le récidivisme des mineurs délinquants
Sauvegarde de l'enfance : revue des associations régionales pour la sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence, N°22, juin 1948, p. 3-18.

Perspectives in Sauvegarde de l'enfanceRevue des associations régionales pour la sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence, N°22, juin 1948, p. 276-285.

« L’antisocialité » juvenile
Rivista di difesa sociale, 1948, n°3, p.1-16.

Les nouveaux horizons de la réforme pénitentiaire
Revue internationale de droit pénal, 1949, Paris : Recueil Sirey, N°2, p. 217-229.

Les diverses conceptions de la Science pénitentiaire
Revue internationale de droit pénal, octobre-décembre, 1949, Paris : Recueil Sirey, N°4, p. 705-724.

Traité élémentaire de science pénitentiaire et de défense sociale : législation pénitentiaire, administration pénitentiaire, régime pénitentiaire, problèmes de défense sociale
Melun : Impr. administrative, 1950. - LXXXII-567 p.

Evolution historique de l’internat de rééducation : conférence prononcée au centre de formation et d’étude de l’éducation surveillée à Vaucresson
[S.l.] : [S.n.], [vers 1950].

L’observation dans le cadre du traitement
Premier cours international de criminologie, Paris, septembre -octobre 1952.

L'Examen médico-psychologique et social des délinquants
Premier Cours international de criminologie, Paris, septembre - octobre 1952.

I problemi attuali della criminologia
Rassegna di studi penitenziari, settembre-ottobre 1952, n°5, p.1-14.

Criminologie et droit pénal
Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, octobre-décembre 1953, Paris : Sirey, 1953, p. 1-14.

Premier cours international de criminologie, Paris, septembre - octobre 1952 : L’examen médico psychologique et social des délinquants : conférences publiées par le directeur du cours, Georges Heuyer et le secrétaire général de la Société, Jean Pinatel

LIEN VERS / FONDS_PINATEL_F6_B11.pdf
Paris : Ministère de la justice, 1953

Deuxième cours international de criminologie, Paris, septembre - octobre 1953 : Le problème de l’état dangereux : conférences publiées par le directeur du cours, Jean Pinatel
Paris : Ministère de la justice, septembre 1954.

L’état dangereux à travers l’étude statistique du récidivisme et les tables de prédiction
Deuxième cours international de criminologie, Paris, septembre - octobre 1953, Paris : Ministère de la justice, septembre 1954, p.283-297.

Introduction du point de vue de la criminologie appliquée in Deuxième cours international de criminologie
Paris, septembre - octobre 1953, Paris : Ministère de la justice, septembre 1954, p.327-341.

L’inadaptation juvénile : étude de 100 rapports d’observation
Revue internationale de criminologie et de police technique, janvier-mars 1955, volume IX, n°1, p.1-18.

Delitto e personalita : allocuzione del prof. Jean Pinatel
Corso internazionale di criminologia, Milano : casa editrice Dott. A. Giufré, 1955, p. 23-27.

After-care and social rehabilitation
Bulletin de la société internationale de criminologie, 1er semestre 1955, p.35-49.


L'Etude du récidivisme à la lumières des travaux du IIIe Congrès international de criminologie (Londres - 12 au 18 septembre 1955)
Annales de médecine légale , n°3, 1956 p. 168-175.

L’apport d’Etienne De Greeff dans l’étude de personnalité criminelle
L'Homme criminel : Etudes d'aujourd'hui, Louvain, Paris : Ed. Nauwelaerts, 1956 (Autour de l'œuvre du Dr E. de Greeff. I.), p. 11-33.

L’apport de Filippo Grispigni à la méthodologie criminologique
La Scuola positiva, 1956, fasc. 1-4, p. 177-183.

Science pénitentiaire et sociologie criminelle
Revue internationale de droit pénal, avril-juin 1957, p. 319-331.

La Criminologie
Paris : SPES, 1960, 223 p. (Sociologie d'aujourd'hui).

Introduction in Crimes et villes : étude statistique de la criminalité urbaine et rurale en France et en Belgique
Denis Szabo. - Paris : Ed. Cujas, 1960.

Criminologia e philosofia penal : riflessioni sulla scuola d’Utrecht
La Scuola positiva, Milano : casa editrice Dott. A. Giufré, 1960, IV serie, fasc. 3, p. 375-391.

Eléments d’une documentation en criminologie, selected documentation on criminology, préface de Thorten Sellin et Jean Pinatel , les données du problème de la bibliographie en criminologie par Jean Pinatel
Paris : UNESCO, 1961 (Rapports et documents de sciences sociales, n°14, 1961).

Ansprachen
Kriminologie und vollzug des freiheisstrafe, Stuttgart : Ferdinand Enke verlag, 1961, p. 10-13.

Traité de droit pénal et de criminologie : Tome II : procédure pénale. Régime des mineurs. Domaine des lois pénales dans le temps et dans l'espace
Paris : Dalloz, 1963, 713 p.

Le système progressif : étude historique et criminologique
Suplemento ao boletim da faculdade de direito da Universidade de Coimbra, 1963, p.5-29.

La criminologie : recherche scientifique et action sociale
Revue française sociologique, 1964, V, p. 325-330.

Les données actuelles du problème de la délinquance juvénile
Revue de neuropsychiatrie infantile, 12, 1964, p. 655-662.

L’influence des institutions de procédure pénale sur la formation de la personnalité criminelle
Problèmes contemporains de procédure pénale : recueil d’études en hommage à M. Louis Hugueney
Paris : Sirey, 1964, p.3-12.

Kriminologija
Sarajevo : zavod za izdavanje udzbenika, 1964, 140 p.

Voies nouvelles de la criminologie en vue de la prévention du crime et du traitement des délinquants : neue wege der kriminologie zur verbrechensverhütung und zur behandlung von rechtsbrechern
Vorbeugende verbrechensbekâmpfung : arbeitstagung im Bundeskriminalamt Wiesbaden vom 20. april bis 24. April 1964, p.199-232.

Confrontation du droit pénal classique et de la défense sociale
Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, Paris : Sirey, 1965, n° 4, p. 757-773.

L’apport médico-psychologique au développement de la criminologie clinique en France
L’information psychiatrique, novembre 1966, n°9, p.828-829.

Où va la criminologie ?
Acta criminologiae et medicinae legalia japonica, vol. 32, n°2, 1966, p.37-40.

La théorie de la tentative devant la criminologie et les sciences de l’homme
Annales de la faculté de droit et des sciences économiques, Thessaloniki : Université aristiotelienne, 1966, vol. 14, p. 241-254.

Le traitement des délinquants jeunes et adultes : rapport introductif
Annales de la Faculté de droit et des sciences économiques de Toulouse, 1966, p. 33-45.

Etienne de Greeff (1898 – 1961)
[Paris] : Cujas, 1967, XIII, 112 p. (Bibliothèque internationale de criminologie).

La théorie pénale de l’intention devant les sciences de l’homme
L'Evolution du droit criminel contemporain : recueil d'études à la mémoire de Jean Lebret, Paris : Presses Universitaires de France, 1968, pp. 181-193.

Ciencias del hombre y derecho penal
Estudios de deusto, mayo-agosto, 1968, vol. XVI, n°34, p. 329-339.

Rapport sur la criminalité des étrangers en France
Paris : Ministère de l’intérieur, inspection générale de l’administration, juin 1968, 69 p.

L’expérience du Centre de Buzenval : travaux du colloque organisé par la Société internationale de criminologie
Melun : Impr. Administrative, 1968, 209 p.

Thorsten Sellin and the principal trends in modern criminology
Essays in honor of Thorsten Sellin, Marvin E. Wolgang, [S.l.] : John Wiley & sons, 1968.

Rapport introductif : les fondements anthropologiques et criminologiques du droit pénal
Annales de la faculté de droit et des sciences économiques de Toulouse, Toulouse : faculté de droit, 1969, p.2-35

Aperçu général de la recherche criminologique en France
Etudes relatives à la recherche criminologique : rapports présentés à la septième conférence des directeurs d’instituts d’études criminologiques (1969), Strasbourg : Conseil de l’Europe, 1970, p.161-194.

Préface in L'Examen de personnalité : étude théorique et pratique
Yvette Coppard-Briton, Melun : Imprimerie administrative, 1970.

Traité de droit pénal et de criminologie : Tome III
Criminologie. - 2ème éd. - Paris : Dalloz, 1970, 660 p.

Note introductive et bibliographie rédigée
La Philosophie pénale, Gabriel Tarde, 4e éd., Paris : éd. Cujas, 1972.

Rapport général de synthèse
VIIIe congrès français de criminologie, Bordeaux : Biscaye frères, 1971, p.227-237.

Doctrines, réalisations et perspectives en matière de traitement des délinquants
L’information psychiatrique, n°1, janvier 1973, p.7-13.

Criminologie clinique et psychiatrie médico-légale
Actualités psychiatriques, 1973, n°2, p.7-9.

La crise pénitentiaire
L’année sociologique, 1973. Paris : PUF, 3e série, volume 24, p.13-67.

Introduction au problème de la délinquance écologique in La délinquance écologique (XVIIème congrès de criminologie)
Nice : Faculté de droit, 1979.

La sociedad criminogena
Madrid : Aguilar, 1979, 239 p. (colleccion Aurion).

Postface in Monsieur Rollet, "le dernier des philanthropes" : sa vie, son œuvre, Paul Bertrand
Paris : Centre technique national d'études et de recherches sur les handicaps et les inadaptations, 1986. - 280 p. (Publications du CTNERHI).

Le Phénomène criminel
Paris : MA, 1987, 254 p. (Le monde de ...).

Femmes et criminelles
Robert Cario ; Henri Laborit ; Jean Pinatel, Toulouse : Eres, 1995, 330 p. (Criminologie et sciences de l'homme).

Histoire des sciences de l'homme et de la criminologie
Paris : L'Harmattan, 2001, 128 p. (Traité de sciences criminelles).

Evolution de la perception de la dangerosité


Evolution de la perception de la dangerosité (19ème - 20ème siècle) - Bibliographie commentée

Une sélection bibliographique dans les fonds patrimoniaux du CRHCP permet de suivre les grandes évolutions de la notion de dangerosité dans la littérature spécialisée*, d’en appréhender son utilisation et sa justification, sachant que les travaux sur la personnalité criminelle de Jean Pinatel font encore référence aujourd’hui.

De la classe dangereuse à l’état dangereux, le concept de la dangerosité apparaît au milieu du 19e siècle avec la désignation d’une classe ouvrière misérable et potentiellement inquiétante pour la société bourgeoise d’alors. Décrire, identifier les stigmates de la dangerosité puis classer les catégories, les groupes, les individus dangereux ; tels sont les premiers pas de la criminologie qui apporte une caution scientifique et médicale à des politiques criminelles et pénales qui alternent, selon le degré de tolérance de la société et l’influence de la presse à sensation, des mesures d’élimination, de sûreté ou de prévention censées éviter tout nouveau passage à l’acte.

Au 20e siècle, l’étude de la personnalité criminelle, chère à Jean Pinatel, qui étudie les conditions du passage à l’acte (avec l’aide des sciences humaines qui s’affirment), s’impose et débouche dans les années 1950 sur le concept d’état dangereux, synonyme de dangerosité, révélé par des indices médico-psychologiques et sociaux déterminant la probabilité qu’a un individu de passer à l’acte.

Le déplacement du problème de la perception de la dangerosité, dans les années 60-70, avec le discours sur la violence et la permanence d’un sentiment d’insécurité, semble reléguer, dans la décennie suivante, l’approche criminologique de la personnalité criminelle au second plan, remettant en cause le principe de défense sociale soutenu depuis le 19e siècle par les auteurs. Si bien qu’au début des années 80, la question était alors d’être posée aux spécialistes : la dangerosité avait-elle alors encore un sens ?



* Les commentaires des ouvrages du 19e siècle et début du 20e siècle se sont largement inspirés de l’ouvrage « Histoire des savoirs sur le crime & la peine » de Christian Debuyst, Françoise Digneffe, Alvaro P. Pirès (2 tomes, Coll. Perspectives criminologiques, Ed. De Boeck Université, 1998).

 

Les précurseurs de Jean Pinatel

Le XIXème siècle

Classe dangereuse = classe ouvrière

Des classes dangereuses de la population dans les grandes villes, et des moyens de les rendre meilleures, FREGIER, 1840
Au début du 19e siècle, pauvreté et vice sont perçus comme les principaux ressorts de la criminalité. Ainsi Frégier, chef de bureau à la Préfecture de police de la Seine, décrit la classe ouvrière misérable, parisienne en particulier, à travers ses comportements délictuels, la qualifiant dans sa globalité et de façon théorique de « classe dangereuse ».

De la misère des classes dangereuses en Angleterre et en France, BURET, 1842
Buret, quant à lui, aborde la question sous un angle essentiellement sociologique et met  l’accent sur la misère comme facteur déclenchant du vice et du crime. Pour lui comme pour Frégier, il s’agit, non d’apporter un remède à ce problème, mais de décrire les causes sociales ou économiques du crime dans les grandes villes.

Les pauvres, extr. des français peints par eux-mêmes, MOREAU-CHRISTOPHE, 1841, p. 98 et suiv.
Dans cette encyclopédie morale du 19e siècle, Moreau-Christophe dresse un tableau illustré de la pauvreté, l’un des degrés de la misère (le crime en étant l’ultime), en s’aidant d’une classification complexe qui englobe indigents, mendiants, vagabonds, malfaiteurs, libérés, enfants trouvés et abandonnés, orphelins, aveugles, aliénés etc. Face au danger que représente la croissance inexorable du paupérisme fragilisant l’ordre public et au mal associé au besoin et au désir de progrès économique de la société, l’auteur s’en remet à l’Etat.

L’anthropologie criminelle

La criminologie, GAROFALO, 1890
Ce magistrat italien a inventé le concept d’état dangereux en criminologie et en pénologie sous le nom de « témibilità » qui « désigne la perversité constante et agissante du délinquant et la quantité du mal prévu qu’on peut redouter de sa part » (p. 332), donc sa capacité criminelle. A cela, il ajoute le critère « d’idonéité » qui consiste à rechercher chez le délinquant, les éléments pouvant mener aux possibilités d’adaptation afin de le rendre inoffensif.

L’Homme criminel, LOMBROSO, 1887

L’Homme criminel, LOMBROSO, 1887
Le fondateur de l’anthropologie criminelle fonde sa théorie du criminel-né sur l’observation et l’expérimentation scientifiques à partir du modèle évolutionniste darwinien et des thèses sur la dégénérescence de l’espèce. A partir de constats autant anatomiques que sociaux, il démontre que tout criminel est un être primitif dans et par son comportement contre lequel la société doit se défendre contre le danger qu’il représente. Il pose avec sa théorie scientifique, les bases de la criminologie, ne s’intéressant à la personnalité du criminel sans toutefois véritablement prendre en compte les facteurs sociaux, ni la nature du délit commis. Ses contemporains, Ferri et Garofalo, proposeront des classifications et des adaptations de la justice pénale (relégation, peines indéterminées…) à la mesure du danger que représente ce type criminel pour la société.

La contagion du meurtre : étude d’anthropologie criminelle, Paul AUBRY, 1894
En France, Aubry se place, comme d’autres médecins, sur un autre registre (pas forcément inconciliable avec les italiens) - celui de l’imitation (chère au sociologue et criminologue Gabriel Tarde) - pour expliquer la « contagion du meurtre ». Il désigne ainsi l’acte par lequel «l’idée du meurtre s’impose ou se transmet à un individu le plus souvent prédisposé». Le crime agirait ici comme une maladie virale dans des corps réceptifs ; l’hérédité, la promiscuité, le spectacle des exécutions et la presse en seraient les facteurs déclenchants. Pour appuyer sa démonstration, Aubry donne de nombreux exemples puisés dans l’histoire, l’observation de ses patients ou dans la presse. 

 

Les lois de l’imitation, TARDE, 2e ed., 1911
Se démarquant de Lombroso et de l’Ecole positive italienne, Tarde développe une approche sociologique de la criminalité qui nourrira un courant de pensée propre à l’école française de criminologie, chère à Alexandre Lacassagne.
Voir le parcours virtuel sur Gabriel Tarde

Le crime et la société, MAXWELL, 1909
Sous l’influence de Durkheim et de Tarde, la sociologie criminelle s’affirme à la fin du 19e siècle comme l’étude de la criminalité en tant que phénomène social. Pour Maxwell, l’origine du crime est à rechercher à la fois dans l’individu et dans son milieu (la société elle-même). Le danger que le criminel représente se situe dans son aptitude à commettre de nouvelles infractions. Pour y faire face, Maxwell ne se démarque pas de ses contemporains (politique d’élimination des « déchets » par un système de peines indéterminées ou pourquoi pas, châtiment corporel) mais innove en matière de prévention sociale (hygiène sociale, lutte contre l’alcoolisme, la misère...).

L’incursion de la psychiatrie

Dégénérescence et criminalité, FERE, 1888
L’incursion de la psychiatrie dans le champ criminel au 19e siècle s’effectue notamment à travers le concept de dégénérescence. Selon les psychiatres, les dégénérés sont atteints de symptômes qui altèrent la volonté, pouvant mener, dans certains cas, au crime (réalisation d’actes jugés nuisibles par la société que la justice doit sanctionner selon le degré de responsabilité de l’auteur). Féré, dans son approche darwinienne de la dégénérescence, va plus loin et stigmatise également les impotents, les aliénés, les criminels ou décadents de tout ordre (du vagabond au pervers le plus monstrueux) en les considérant « comme des déchets de l’adaptation, des invalides de la civilisation » que la société doit à tout prix mettre hors d’état de nuire.

Les Stigmates biologiques et sociologiques de la criminalité, DALLEMAGNE, 1894
A la fin du 19e siècle, le psychiatre belge, Dallemagne, sans se démarquer catégoriquement des thèses évolutionnistes, aborde la question du crime sous un angle essentiellement biologique et sociologique en ajoutant aux stigmates physiques, des stigmates sociaux (« l’ensemble des manifestations qui portent atteinte à la conservation et au progrès des sociétés ») qui prouvent l’inadaptation à la vie individuelle et sociale du criminel dégénéré.

Représentations de la dangerosité

« L’apache »
A la fin du 19e siècle, apparaissent dans Paris et sa banlieue, des bandes de jeunes délinquants  baptisés du nom d’apaches. Après avoir séduit un temps l’imaginaire populaire, l’apache va vite devenir, dans l’opinion manipulée par la presse, le symbole de la criminalité urbaine, suscitant fantasmes (sur leur nombre par exemple) et réactions contre ce danger (légitime défense, peine de mort systématique…).

Réponse du droit pénal

La défense sociale et les transformations du droit pénal, PRINS, reprint de l’éd. de 1910
L’ouvrage de Prins, aboutissement de ses travaux publiés depuis 1880, marque une rupture. Pour lui, le pivot de la répression pénale ne doit pas être la responsabilité du délinquant mais son caractère dangereux pour la société, c'est-à-dire sa prédisposition criminelle. C’est sur ce principe que doivent se fonder les mesures de défense sociale à la fois éducatives, protectrices et répressives d’un Etat responsable de l’ordre public. Les critiques qui s’élèvent contre les théories de défense sociale tournent autour de la garantie des libertés individuelles. C’est le juge appuyé par le législateur qui doit déterminer l’état dangereux d’un individu, sa responsabilité et, selon le degré de sa dangerosité, le priver de sa liberté. En 1910, la législation pénale contre le vagabondage et la mendicité, de même que  la relégation, née d’un sentiment d’insécurité grandissant, sont des mesures de défense sociale contre des individus au genre de vie marginal ou criminel, jugés dangereux.

L’individualisation de la peine, SALEILLES, 1898
Reprenant les critères de défense sociale, Saleilles rejette le principe de la responsabilité atténuée et s’appuie sur sa théorie de l’individualisation de la peine qui permet au juge de sanctionner, en prenant en compte la personnalité du délinquant. Le juge devient alors, selon Saleilles, expert et juge de la dangerosité d’un individu, ce que les médecins et criminologues, attachés au diagnostic médical ou scientifique, contesteront tout au long du siècle suivant. 

Demi-fous et demi-responsables, GRASSET, 1907
Quelques années plus tard, Grasset pose la question de la responsabilité pénale atténuée des délinquants qu’il appelle des « demi-fous » : des aliénés lucides dont les symptômes vont de l’excentricité vestimentaire à l’alcoolisme et la toxicomanie jusqu’à l’épilepsie. Tous sont nuisibles à la société en permanence ou par intermittence (selon leur état morbide), et deviennent dangereux lorsqu’ils commettent un délit ou un crime. Ce qui est nouveau, c’est que Grasset préconise une responsabilité pénale atténuée (ils sont demi-responsables), assure qu’ils doivent être punis pénalement et internés dans un asile, de façon indéterminée, sous surveillance et traitement médical.

Le XXème siècle

Sociologie criminelle

Le crime et la société, MAXWELL, 1909
Sous l’influence de Durkheim et de Tarde, la sociologie criminelle s’affirme à la fin du 19e siècle comme l’étude de la criminalité en tant que phénomène social. Pour Maxwell, l’origine du crime est à rechercher à la fois dans l’individu et dans son milieu (la société elle-même). Le danger que le criminel représente se situe dans son aptitude à commettre de nouvelles infractions. Pour y faire face, Maxwell ne se démarque pas de ses contemporains (politique d’élimination des « déchets » par un système de peines indéterminées ou pourquoi pas, châtiment corporel) mais innove en matière de prévention sociale (hygiène sociale, lutte contre l’alcoolisme, la misère...). 

Réponse du droit pénal

La défense sociale et les transformations du droit pénal, PRINS, reprint de l’éd. de 1910
L’ouvrage de Prins, aboutissement de ses travaux publiés depuis 1880, marque une rupture. Pour lui, le pivot de la répression pénale ne doit pas être la responsabilité du délinquant mais son caractère dangereux pour la société, c'est-à-dire sa prédisposition criminelle. C’est sur ce principe que doivent se fonder les mesures de défense sociale à la fois éducatives, protectrices et répressives d’un Etat responsable de l’ordre public. Les critiques qui s’élèvent contre les théories de défense sociale tournent autour de la garantie des libertés individuelles. C’est le juge appuyé par le législateur qui doit déterminer l’état dangereux d’un individu, sa responsabilité et, selon le degré de sa dangerosité, le priver de sa liberté. En 1910, la législation pénale contre le vagabondage et la mendicité, de même que la relégation, née d’un sentiment d’insécurité grandissant, sont des mesures de défense sociale contre des individus au genre de vie marginal ou criminel, jugés dangereux.

 

Demi-fous et demi-responsables, GRASSET, 1907
Quelques années plus tard, Grasset pose la question de la responsabilité pénale atténuée des délinquants qu’il appelle des « demi-fous » : des aliénés lucides dont les symptômes vont de l’excentricité vestimentaire à l’alcoolisme et la toxicomanie jusqu’à l’épilepsie. Tous sont nuisibles à la société en permanence ou par intermittence (selon leur état morbide), et deviennent dangereux lorsqu’ils commettent un délit ou un crime. Ce qui est nouveau, c’est que Grasset préconise une responsabilité pénale atténuée (ils sont demi-responsables), assure qu’ils doivent être punis pénalement et internés dans un asile, de façon indéterminée, sous surveillance et traitement médical.

Définir la dangerosité

Congrès international pénitentiaire de 1925
En répondant à la 4e question de la 3e section (« Quelles sont les mesures à prendre envers les malades anormaux manifestant des tendances dangereuses ? Ces mesures sont-elles applicables aux enfants de la même catégorie ? »), les membres français de la Société des prisons (François Sauvard et Paul Boncour) apporte une définition encore floue des malades anormaux dangereux : les dangereux sont ceux qui sont assez sages pour ne pas aller en prison, ni assez fous (responsabilité atténuée). Même imprécision quant aux frontières de l’état dangereux : gravité d’un acte ou répétition de phénomènes antisociaux légers ? La classification des malades anormaux demeure encore vague : elle mêle ceux qui ont une activité malfaisante ou sont incapables d’acquérir des habitudes (débiles instables, vagabonds ou fugueurs, entêtés et raisonneurs, excentriques ou originaux). Tous sont à éliminer progressivement, voire définitivement dans certains cas. Pour cela, les intervenants préconisent l’étude psycho-physiologique des délinquants et criminels en prison avant jugement, ce qui justifie à leurs yeux l’individualisation des mesures de défense.

Les thèses en présence

Le crime comme produit social et économique, Rozengart, 1929
Comme nombre d’auteurs de l’époque, Rozengart note l’apparition d’une criminalité juvénile croissante essentiellement économique (vol, vagabondage) due au milieu et à la misère. Les facteurs criminogènes en sont la ville moderne, l’alcoolisme et la prostitution. Penseur socialiste, Rozengart définit le crime comme un phénomène social pathologique, inévitable dans une société bourgeoise basée sur l’exploitation d’autrui. Il faut donc purger la société non des criminels, mais du crime même, un mal que l’Etat est chargé de prévenir.

 

Jean Pinatel, criminologue. Le crime comme produit social et économique, Rozengart, 1929

Apports de la psychanalyse et de la psychiatrie infantile

Psychanalyse et criminologie, Genil-Perrin, 1934
Selon l’auteur, la psychanalyse différencie, dans son étude, la criminalité organique qui relève de la psychiatrie et la criminalité « normale », minoritaire mais qui révèle un sur-moi criminel, acquis dans l’enfance et l’adolescence. La psychanalyse participe ainsi à la remise en cause des théories lombrosiennes. A cette criminalité s’ajoute la criminalité « névrotique » qui englobe tous les déséquilibrés et les inadaptés sociaux qui encombrent les tribunaux. Pour la psychanalyse, il y a une origine psychogène à la conduite sociale, très certainement un traumatisme psychique infantile. Il s’agit donc d’une approche nouvelle de la criminologie, à une époque où l’on attribue encore toute délinquance à la dégénérescence héréditaire ou acquise. 

Le criminel et ses juges, Alexander et Staub, 2e ed., 1938
Le livre propose, à partir d’études de cas, une approche psychanalytique du phénomène criminel et rejette le châtiment - qui ne fait qu’aggraver les symptômes en gratifiant un besoin de punition – au profit de l’examen en profondeur des causes psychologiques inconscientes du crime. Dans ce cas, le criminel « névrosique » projette le sentiment de culpabilité sur le monde extérieur : il imagine qu’on le persécute et qu’il a besoin de se défendre, d’où le passage à l’acte. En France, cet ouvrage eut un grand retentissement et inspirera notamment Albert Camus qui résume ainsi la thèse dans ses « Carnets » : « il y a des siècles on condamnait les hystériques, il viendra un temps où on soignera les criminels » 

La presse

« L’Armée du crime » (1926), expression qui hante depuis la fin du 19e siècle les esprits et qui entretient l’idée que la criminalité s’accroît sans cesse, se multiplie, recrute dans toutes les catégories de délinquants et d’inadaptés sociaux constituant ainsi un danger permanent pour la société. Après-guerre, l’expression reprise à la Une des journaux sert de manchette pour annoncer ou relater des faits-divers très en vogue à l’époque.

Le Petit parisien est le premier quotidien populaire en 1900. Grâce au succès de ses chroniques judiciaires et de ses revues de faits-divers criminels, il va tirer à plus d’1,5 million d’exemplaires entre 1920 et 1933. Les clichés, retouchés ou montés sur carton à partir souvent de photos d’identité, rassemblent sans distinction victimes et coupables.

Les contemporains de Jean Pinatel

Définition : la dangerosité

Introduction à la criminologie, De GREEFF, 1946 (2e édition) De Greef définit dans cet ouvrage, paru en 1937 sous le titre “L’approche de la personnalité criminelle”, les conditions qui précèdent le passage à l’acte d’un individu, phase qu’il identifie comme étant l’état dangereux. Pour l’auteur, dangerosité et passage à l’acte sont liés dans le processus criminogène.

Les thèses en présence

La réforme de la relégation, LATIVE, 1943
Pour Lative, la dangerosité s’applique aux délinquants qui « soit par leur genre de vie, soit par leurs antécédents personnels, héréditaires ou judiciaires, soit par la nature de leurs infractions constituent un danger permanent ». En conséquence, ils « doivent faire l’objet de mesures répressives particulièrement déterminées ». 2 groupes sont ainsi visés : ceux dont on redoute qu’ils commettent des délits (vagabonds, souteneurs, bonneteurs, malfaiteurs, alcooliques) et les récidivistes, dangereux à cause de leurs antécédents judiciaires. Selon l’auteur, le danger se caractérise par l’association de la probabilité de perpétuation de nouveaux délits et la grandeur du dommage causé à la paix publique. Quant à la récidive, elle est liée à l’état dangereux par des facteurs intrinsèques (tares, mauvaise éducation, hérédité…) associés aux délinquants. Contre cela, il préconise des mesures de répression et d’internement de sûreté pour les délinquants et asociaux comme en Allemagne où cela se fait (loi de 1933).

Jean Pinatel, criminologue. Les contemporains - Enquête sur la délinquance juvénile, HEUYER, 1942

Apports de la psychanalyse et de la psychiatrie infantile

Enquête sur la délinquance juvénile, HEUYER, 1942
Dans les années 30, la psychiatrie infantile devient partenaire indispensable, experte dans la gestion de la délinquance juvénile et va créer la notion d’enfance inadaptée. L’étude particulière de la délinquance infantile apparaît primordiale car elle est jugée indissociable de la criminalité de l’adulte. A partir d’examens médico-sociaux dans les services médico-pédagogiques d’observation et de triage, les psychiatres, comme Heuyer, vont s’intéresser à la personnalité des jeunes délinquants, auparavant ignorée ou réduite à la débilité.

Ils vont tenter de déceler les causes héréditaires, constitutionnelles et les facteurs sociaux qui influent sur la formation du caractère et l’affectivité des jeunes. La délinquance juvénile devient une question criminologique à part entière.

Diagnostiquer l’état dangereux

Le problème de l’état dangereux, publiées par PINATEL, 1954
Pinatel reprend ici le concept d’état dangereux (synonyme de dangerosité) élaboré par Garofalo au 19e siècle (« La criminologie : étude sur la nature du crime et la théorie de la pénalité », 1890). Il le considère comme la notion de base de la criminologie clinique qui se donne pour but de formuler, après l’observation, un diagnostic sur la dangerosité d’un délinquant, dans le but d’éviter la récidive. Dans l’étude de la personnalité criminelle, Pinatel, après avoir déterminé les conditions du passage à l’acte, a tenté de cerner les indices psychologiques qui composent la personnalité criminelle. Théorie mise à mal par les études de prédiction qui contrediront, dans les décennies suivantes le célèbre criminologue français.

Aspects de l’état dangereux : actes du congrès, 1961
Quelques années après la publication précédente, les spécialistes réunis au 2e congrès français de criminologie s’accordent pour retenir la définition de l’état dangereux présentée par Christian Debuyst en 1953 (2e cours de criminologie) : « l’état dangereux est un phénomène psychosocial caractérisé par des indices révélateurs de la grande probabilité pour un individu de commettre une infraction contre les personnes et les biens ». Le délit est bien le symptôme de l’état dangereux. Si la dangerosité est encore présentée comme un concept opérationnel sans réelle attention aux pratiques sociales qui l’ont fait surgir, les criminologues s’entendent pour écarter définitivement le concept d’état dangereux pré-délictuel (Grammatica) qui, en l’absence de délit, permettrait de sanctionner des manifestations extérieures ou des indices « d’antisocialité subjective ».

Les problèmes fondamentaux de la criminalité, KINBERG, 1959
Grand criminologue suédois, Olof Kinberg pose notamment ici la question du diagnostic de la dangerosité qu’il admet comme faisant parti intégrante de la criminologie ce qui implique l’étude de l’homme dans son comportement intégral, total. Il préconise une étude systématique des groupes de criminels pour connaître en détail les mécanismes psychologiques, encore vagues à cette époque, qui mènent au crime.

« L’inquiétant visage d’une certaine jeunesse »

Le crime en France, CHAULOT, SUSINI, 1959
« L’inquiétant visage d’une certaine jeunesse », tel est le constat que les auteurs font à la suite d’actes de vandalisme récents qui « ne laissent plus personne indifférent » (allusion à l’été 1959 : « l’été des blousons noirs » pour la police). Le livre, qui dresse un état du crime en France, insiste sur les délinquants de moins de 18 ans dont les auteurs soulignent la dangerosité en relevant parmi eux certains des traits psychologiques de la personnalité criminelle (Pinatel). Au bilan, pour les auteurs, 70% des criminels sont des déséquilibrés, le reste des asociaux et les délinquants, des malades qu’il faut soigner.

Les jeunes délinquants dans le monde, VEILLARD-CYBULSKY, 1963
L’auteur prétend aborder le problème de la délinquance juvénile dans sa globalité et dans sa dimension sociologique et historique au niveau mondial. Un phénomène social très complexe qui s’amplifie ou diminue dans certaines de ses composantes, sous l’influence de facteurs connus ou inconnus.

Enfants difficiles… Blousons noirs, TOURNIS, CLARYS, 1965
Dans cet ouvrage, la bande devient une forme de délinquance juvénile et est associée à « l’explosion de la violence » sous forme de viol ou de vandalisme. Acte gratuit par excellence assimilé à une sorte de jeu sans règle, le vandalisme surprend et inquiète la société qui se demande si elle n’est pas en train de perdre ses valeurs, voire de disparaître. Les auteurs, comme d’autres, soulignent le rôle de la presse dans l’amplification du phénomène et la violence qui lui est associée

Les blousons noirs, RACINE, SOMERHAUSEN, DEBUYST, 1966
Comprendre ce phénomène apparu sous différentes formes dans le monde et qui n’aura duré que quelques années va constituer un défi et une source de crainte souvent démultipliée par les médias. Les jeunes désœuvrés, constitués en groupe (« Blousons noirs » en France ou en Belgique), se signalent par leur turbulence, voire leur agressivité gratuite envers les passants. L’enquête médico-sociale sur les 27 protagonistes de l’affaire de Midburg (Belgique) menée par Debuyst et ses collègues prouve, en fait, que cette attitude est un aspect contemporain de la délinquance qui trouve ses origines dans les déficiences du milieu familial, les troubles de la personnalité adolescente, le cadre socio-économique, l’échec scolaire et/ou professionnel. En 1966, le phénomène a quasiment disparu mais à Midburg comme ailleurs, c’est le dépassement du seuil de tolérance qui déclencha des poursuites judiciaires et des sanctions pénales. Une réponse bien insuffisante pour les auteurs.

Les Barjots, MONOD, 1971
Sous la forme d’une étude ethnologique au cœur d’une bande, Monod dresse le constat de la fin du phénomène des bandes qui a tant inquiété l’opinion dans la décennie précédente. En ethnologue, il suggère que ce comportement appartient à un processus transitoire d’où le refus par les adolescents d’un modèle de civilisation et de société. Il fallut attendre les travaux des ethnologues et sociologues et les évènements de Mai 1968 et leurs effets pour se demander si ce n’est pas la société qui était inadaptée aux changements et donc, malade.

Violence et insécurité

Réponses à la violence, 1977
Dans les années 70, l’augmentation de la délinquance juvénile, accentuée par la crise économique, dévoile une véritable crise sociale d’où surgit un sentiment d’insécurité, « engendré par la peur, l’émotion, l’exaspération et l’angoisse ». En 1977, un sondage repris dans le rapport révèle que 75% des français estiment que les jeunes sont source de violence. Pour y répondre, le gouvernement de l’époque, sous l’égide du Ministre de la justice, Alain Peyrefitte, commande un rapport qui débouche sur 105 recommandations répressives et préventives visant à renforcer l’efficacité des institutions judiciaires.

La défense sociale nouvelle, ANCEL 3e ed. ,1981
Ancel, l’un des pères de la défense sociale nouvelle, rappelle ici les principes fondamentaux de la défense sociale qu’il a établis dès la 1ère édition en 1954: la prévention du crime et le traitement des délinquants dans un cadre exclusivement légal où la justice pénale n’intervient qu’à l’égard de l’individu qui a commis un délit prévu d’avance par la loi dans le respect de la liberté individuelle et des droits de l’homme. Ancel s’inquiète ici des dérives dues à l’interprétation abusive de la montée de la violence et du sentiment d’insécurité qui risque de mener à une politique criminelle de répression indiscriminée (ex : projet de loi « Sécurité et liberté » en France en 1980) et à des mesures de sûreté ante delictum car l’état dangereux peut se manifester avant même la commission d’une infraction. Pour Ancel, en instaurant un régime préventif discrétionnaire ou un droit d’intervention illimité de l’Etat sur le délinquant potentiel, il y a dénaturation de la défense sociale nouvelle. Il prône quant à lui le maintien du principe de légalité.

Dangerosité et justice pénale, Colloque international (22-25 mai 1979), 1981
La question posée en préambule du Colloque international de l’Université catholique de Louvain pour son 50e anniversaire de sa fondation (22-25 mai 1979) par Christian Debuyst (la notion de dangerosité a-t-elle encore un sens ?) montre à quel point cette notion, en criminologie générale, est alors remise en cause, de son étude scientifique à son utilisation comme outil d’intervention politique. Les Actes du colloque font la synthèse des réponses aux questions autour de cette notion polymorphe, multidisciplinaire, fortement controversée et débattue comme le montre ce rapide tour d’horizon de la littérature depuis le 19e siècle.