Histoire & Patrimoine pénitentiaire

Charles Perrier médecin des prisons à Nîmes

Charles Perrier médecin des prisons à Nîmes

Présentation

Témoin et observateur de la vie en prison à la fin du 19e siècle, le docteur Charles Perrier (1862-1938) nous livre dans ses nombreux écrits une étude détaillée sur les détenus de la Maison centrale de Nîmes où il exerce entre 1888 et 1911. A la lecture, on est frappé par la quantité de données et tableaux statistiques ainsi que par l’originalité des commentaires, la simplicité du style et la liberté de ton qui les accompagnent. Les 25 documents proposés en ligne par le CRHCP dans ce parcours nous plongent dans une réalité crue où les mœurs en détention, les pratiques des condamnés, leurs habitudes, les relations avec l’administration et les surveillants sont décrites très précisément.

Charles Perrier, Biographie

Son ouvrage majeur : « Les criminels »

Fils d’un juge de paix, Charles Perrier est né en 1862 à Valleraugue (France, Gard). Il suit des études de médecine à Montpellier et soutient sa thèse en 1887. L’année suivante, il est nommé à la Maison centrale de Nîmes comme médecin des prisons, fonction qu’il occupe jusqu’en 1911. De 1896 à 1900, grâce aux techniques d’anthropométrie judiciaire mises au point par Alphonse Bertillon 20 ans plus tôt, le docteur Perrier se livre à une grande étude sur les détenus dans le cadre de ses fonctions.

Dans le premier tome de son ouvrage majeur, « Les criminels » (1900) et dans ses diverses publications jusqu’en 1935, il étudie la quasi-totalité de la population pénale de la maison centrale, au total 859 détenus de 16 à 73 ans. Il amasse des milliers de données anthropométriques, qu’il classe, répertorie, pondère, compare, commente et croise avec d’autres données (nationalité, origine ethnique, profession, religion etc.) ou caractères physiques. Grâce aux documents judiciaires ou administratifs auxquels il a accès de par ses fonctions, il analyse également les crimes et délits commis par les détenus et recueille des renseignements sur leurs victimes. Perrier décrit aussi leurs pratiques à travers les techniques criminelles employées et les pratiques culturelles. Il s’intéresse particulièrement aux tatouages, restitués avec précision grâce au dessin et à la photographie ainsi qu’au langage des détenus (l’argot) qu’il étudie, classifie … et utilise en abondance dans ses écrits.

En 1900, ses travaux statistiques originaux sont réunis en un album artistiquement décoré regroupant 175 tableaux calligraphiés ornés de 395 dessins de monuments réalisés par des détenus. Il sera présenté à l’exposition universelle de Paris la même année. Aujourd’hui, ce document est visible au Musée du Vieux-Nîmes.

C’est dans le tome 2 des « Criminels » (1905) et dans des articles publiés ultérieurement que l’on retrouve les éléments de la vie carcérale décrits dans leur crudité par le médecin : comportements et mœurs en détention, « trucs » en tous genres pour se protéger ou se défendre, quotidien (travail, repas, promenade, punition, école, cultes, relations avec le personnel). La dégradation de la moralité constitue à l’époque pour les autorités un facteur important de récidive à la sortie. Comment y remédier ? :

  • par le travail qui est considéré comme le premier agent de moralisation et sert à réparer les préjudices commis. Il est imposé au détenu valide (en mars 1896, plus de 83 % de détenus de Nîmes travaillent). Le produit du travail facilite son alimentation (cantine) et lui permet d’avoir un pécule à la sortie. Mais ce travail est critiqué par Perrier car il concurrence le travail plus coûteux des entreprises libres et les confectionnaires ne sont pas toujours honnêtes
  • par les pratiques religieuses ensuite, le dimanche, jour de repos et de culte depuis 1836. A Nîmes, les 3 cultes sont présents et l’on trouve une chapelle, un temple et une synagogue.
  • par l’école, enfin, qui est peu fréquentée (20 élèves en moyenne à Nîmes) car il n’y a qu’un seul instituteur. La discipline est dure, les relations avec les gardiens difficiles et les conditions de vie médiocres : les statistiques de mortalité et morbidité établies par Perrier le prouvent, puisque la tuberculose demeure la maladie la plus mortelle avec plus du tiers des décès à Nîmes comme dans toutes les maisons centrales à cette époque.

Sur le plan scientifique, le docteur Perrier ne tire aucune conclusion de ses travaux. Il s’agit seulement de proposer une mine de documents illustrés aux moralistes, criminologues, scientifiques ou pénalistes. Cependant, il affirme qu’au vu de ses constatations le type criminel, cher à Lombroso, n’existe pas et que les facteurs sociaux, la misère, l’alcoolisme, le milieu relèguent au second plan les facteurs individuels dans les causes du crime.

A sa parution, « Les criminels » fait grand bruit, car cette étude des détenus faite depuis l’intérieur même de la prison ressemble plus à un témoignage qu’à un travail scientifique. Son ami Lacassagne compare l’ouvrage aux Souvenirs de la Maison des morts (1862) où Dostoïevski fait vivre, à partir de ses propres souvenirs de bagnard, le quotidien d'une prison en Sibérie au 19e siècle. Pour nous, l’ensemble des documents présentés dans ce parcours se révèle être aujourd’hui une étude médicale, sociologique et anthropologique unique de l’univers carcéral en France à la fin du 19e siècle.

Charles Perrier, Médecin des prisons

Chef du service de santé de la Maison centrale de Nîmes en 1888

Dans les maisons centrales, le service médical est régi par le règlement du 5 juin 1860. Il prescrit :
L'examen des arrivants, qui se solde par la création d’une notice individuelle, statistique et médicale qui suit le détenu tout au long de sa présence dans l’établissement ;
La consultation périodique des détenus se présentant à la visite, ainsi que des détenus en cellules et quartiers de punition, dans les ateliers, dortoirs et préaux toutes les fois qu’elle est demandée par le directeur. Le médecin soigne les malades à l’infirmerie et est assisté par un pharmacien chargé de la préparation et de la distribution des médicaments. Il peut également être amené à effectuer des opérations chirurgicales simples.

Charles Perrier est nommé chef du service de santé de la Maison centrale de Nîmes en 1888.

A l’infirmerie de la maison centrale, le médecin est présent quotidiennement car il est tenu de compléter les registres sur le fonctionnement de l’infirmerie et de noter les prescriptions sur le cahier de visite. Il doit également fournir annuellement un rapport et les statistiques médicales de l’établissement. Le médecin peut aussi adresser un avis écrit au directeur pour toutes les questions qui intéressent la santé des détenus, donner des avis sur les demandes et le fonctionnement général du service. Il s’occupe également du régime alimentaire des malades. L’infirmerie est le lieu d’observation idéal quant à la vie quotidienne des détenus ou sur leur état de santé.

Charles Perrier - Anthropométrie judiciaire

« Le Bertillonage »

Application pratique et directe des théories de l’anthropologie criminelle héritées de Lombroso, l’identification par signalements anthropométriques ou « anthropométrie judiciaire » est un système inventé par Alphonse Bertillon dans les années 1870, ayant pour objectif de lutter contre la récidive.

Il se compose d’une collection de fiches individuelles associant souvent une photographie à diverses longueurs osseuses relevées dans un ordre uniforme : la taille, puis la longueur et la largeur de la tête, la longueur du médius gauche, du pied gauche, l’envergure (longueur avec bras en croix), mensurations et couleur de l’iris gauche. A ces caractéristiques sont ajoutés des signes particuliers. Toutes les fiches anthropométriques sont ensuite classées en groupes et sous-groupes permettant de repérer un éventuel récidiviste.

Le système fut généralisé à partir de 1880 dans toutes les prisons où furent envoyés des instruments de mesure spéciaux et les instructions pour l’appliquer. C’est cette technique, familièrement appelée « le Bertillonage », qu’utilise Charles Perrier pour relever ses milliers de données sur les détenus de la Maison centrale de Nîmes, données qu’il regroupe et classe afin d’alimenter ses multiples tableaux statistiques ou d’illustrer ses études comparatives.

Charles Perrier - La maison centrale de Nîmes


La Maison centrale de Nîmes est à l’origine une citadelle avec un fort Vauban. Elle devient, à partir de la fin du 18e siècle, une maison de correction pour les condamnés à moins d’un an de prison du Gard, un entrepôt pour les forçats de passage vers le bagne de Toulon, une prison militaire et un dépôt de mendicité.
En 1820, la citadelle est transformée en maison centrale de détention et maison de correction pour le département du Gard ; elle est restaurée en conséquence tout au long du siècle pour accueillir convenablement et occuper 700 à 800 condamnés : lieux de culte, ateliers, infirmerie, école, aqueducs et fosses d’aisance, adductions d’eau, buanderie etc. Au cours du siècle, la Maison centrale de Nîmes accueillera jusqu’à plus de 1250 détenus.
Les prisons de longues peines, comme les maisons centrales ou maisons de correction, accueillent des réclusionnaires (peines de 5 à 10 ans) et des condamnés correctionnels, de 1 an et 1 jour à 5 ans, récidivistes ou non. A l’époque de Charles Perrier, on en compte 16 sur le territoire national dont 3 pour les femmes. Le travail des détenus y est imposé.


Dans les ateliers de Nîmes, les détenus fabriquent des talons, lits en fer, meubles de jardin, pipes, chaises, pantoufles, clous, espadrilles etc. Ils fonctionnent sous le régime de l’entreprise où des entrepreneurs privés sous contrat avec l’Etat (les confectionnaires) utilisent le travail des détenus et subviennent à leur entretien, moyennant un prix déterminé (la moitié du produit du travail).
Dès 1896, Charles Perrier fait paraître « La maison centrale de Nîmes, ses organes, ses fonctions, sa vie » qui n’est pas une simple monographie mais une étude où l’auteur donne son avis sur la criminalité et ses facteurs, sa prophylaxie et sa thérapeutique et les différents systèmes pénitentiaires.
La Maison centrale de Nîmes sera en service jusqu’en 1991. Elle est alors transformée en faculté des lettres : l’université Vauban.

Charles Perrier, Bibliographie en ligne

Ouvrages et articles d’anthropométrie

Ouvrages et articles sur la vie carcérale à la Maison centrale de Nîmes

Autres travaux de Charles Perrier (non disponibles en ligne)

  • L'affaire Deleuze (portrait et autographe), In Archives d’anthropologie criminelle, 1901 (t. 22) - p. 456-481
  • Le nez et ses rapports avec le visage, le front, la bouche et le menton, Lyon : A. Rey, 1934. - 47p.

Autres ouvrages et articles du CRHCP disponibles en ligne sur l’anthropologie ou l’anthropométrie 

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