Histoire & Patrimoine pénitentiaire
Le père de la science pénitentiaire
La réforme du régime pénitentiaire en France
Convaincu que l'emprisonnement peut et doit remplacer la peine capitale, Charles Lucas va consacrer sa vie à la réforme du régime pénitentiaire en France.
En 1828-1830, après une série de voyages d'observation en Europe, il publie un imposant ouvrage intitulé « Le système pénitentiaire en Europe et aux Etats-Unis ». Il en fait tirer à part l'introduction, qu'il distribue, sous forme de pétition, à tous les pairs et députés, afin d'introduire la question dans le sein de la législature, et d'appeler sur elle les débats parlementaires.
A la suite de cette publication, l'Assemblée Nationale sollicite pour Lucas une charge administrative où il pourrait expérimenter ses propositions ; au lendemain de la Révolution de Juillet, François Guizot, alors Ministre de l'Intérieur, le nomme Inspecteur Général des Prisons, avec mission de mettre en place une réforme du régime pénitentiaire. Lucas occupera cette fonction pendant 35 ans, de 1830 à 1865.
On peut parler d'un « moment Lucas » de la réforme pénitentiaire en France, correspondant aux années 1828-1840 : consacré par son élection en 1836 à l'Académie des sciences morales et politiques, et la publication en 1836-1838 de son grand ouvrage « De la réforme des prisons ou de la théorie de l'enfermement », Lucas est reconnu comme le leader de l'Ecole pénitentiaire française.
Le système pénitentiaire de Charles Lucas
« Nous ne faisons pas de la littérature pénitentiaire à l'usage des gens du monde, mais nous donnons des conseils et des solutions pratiques qui s'adressent aux hommes d'état ».
Charles Lucas propose une réforme globale et profonde du système pénitentiaire français. Son système représente une synthèse entre la philosophie des Lumières, la philanthropie de la Constituante, le libéralisme du 19e siècle et le premier catholicisme social.
Lucas pose d'emblée un constat alarmant sur l'organisation des prisons vers 1830 : règne de l'anarchie, absence de centralisation, surmortalité des détenus, prisons et bagnes devenus des centres d'enseignement du crime ?
Pour asseoir sa réforme, Lucas lui donne un cadre simple et précis : il affirme la suprématie de la prison comme outil de sanction et la nécessité d'unifier toutes les sentences criminelles en une peine unique : l'emprisonnement. L'élément central de graduation de la peine sera alors le temps de détention : « la durée de la détention est le principal élément de la répression et la garantie principale de la société ». L'accent est porté sur la protection de la société, la prévention de la contagion du crime entre détenus, l'amendement et la réinsertion sociale du délinquant.
Lucas figure parmi les premiers défenseurs d'une conception de la peine et de son évaluation qui s'attachent non pas aux actes commis, mais aux personnes criminalisées, annonçant la notion d'individualisation de la sanction.
« L'administration de la justice criminelle ne peut s'en tenir à la criminalité intrinsèque de l'acte et doit nécessairement appeler le juge à apprécier l'intentionalité de l'agent ».
L'audience de Lucas fut grande dans les débats nationaux et internationaux tout au long du 19e siècle, la cohésion de son système reconnue et admirée. Néanmoins son influence sur l'évolution concrète des institutions pénitentiaires s'essouffla vite. Les raisons en sont nombreuses : la rivalité avec les partisans du système philadelphien (Tocqueville, Moreau-Christophe), le développement de la bureaucratie dans les prisons, les changements rapides de régimes qui accroissent l'incohérence des politiques pénitentiaires successives ?
Les réflexions théoriques de Lucas s'articulent autour des grands thèmes du champ pénitentiaire :
Jeunes détenus
Lucas préconise la création d'établissements spéciaux pour les jeunes délinquants. Il est l'un des principaux promoteurs du développement des colonies pénitentiaires et recommande l'organisation de sociétés de patronage pour accompagner les jeunes à leur sortie.
Prisons départementales : prévenus et courtes peines
Lucas préconise l'emprisonnement cellulaire de jour et de nuit pour les prévenus (but de préservation)et les condamnés (but d'intimidation), pour une durée maximale d'un an.
Les longues peines : maisons centrales et bagnes
Les Maisons centrales n'accueilleraient plus que les condamnés à plus de 2 ans de réclusion. Le « système pénitentiaire » de Lucas combine alors isolement cellulaire de nuit et travail en commun le jour, dans le but de favoriser l'amendement et la rééducation du détenu. Lucas demande également la suppression des bagnes et leur remplacement par la réclusion dans les grandes maisons centrales impropres à l'application du système pénitentiaire.
Lucas et la querelle entre « Auburniens » et « Pennsylvaniens »
Dans les vifs débats autour de l'utilisation systématique de l'isolement cellulaire, Lucas s'est notamment opposé aux propositions de Tocqueville et de Moreau-Christophe, défendant avec constance la limitation de ce système d'isolement absolu.