Dès 1791, les personnes condamnées à des peines de prison se voient confisquer leurs vêtements personnels et sont astreints au port d’une tenue pénale. Cette contrainte répond à des préoccupations sanitaires et sécuritaires. Mais elle est aussi un outil de stigmatisation, dont les effets néfastes sur la personne détenue et le sens de la peine conduiront à en supprimer l’usage en 1983.
La composition du costume pénal est remarquablement stable dans le temps : les règlements successifs listent à peu près les mêmes effets. Pour les hommes, il est composé d'une vareuse, un pantalon, un gilet, un béret, des chaussons et sabots ; Pour les femmes, il comprend une robe, un tablier, des bas de laine, un fichu, des chaussons et sabots.
Le tissu médiocre et rugueux utilisé pour sa confection donne son surnom à cette tenue : le « droguet ». Sa couleur peut varier, mais reste volontairement terne et peu salissante, oscillant entre le marron et le gris. À cela s’ajoute la coupe des cheveux pour les femmes et la tonte des cheveux, moustache et barbe pour les hommes. Le port de cet uniforme répond à deux enjeux principaux :
sanitaire : il s’agit d’éviter de faire entrer en détention les éventuels maladies et parasites véhiculés par les vêtements des arrivants ;
sécuritaire : le retrait des effets personnels permet d’ôter au condamné tout objet qu’il pourrait utiliser contre le personnel, les autres détenus ou lui-même (boucle de ceinture, lacets …). Le port du costume pénal, très reconnaissable, et de sabots vise également à décourager et entraver les projets d’évasion.
« Notre peine et notre vie passeront, mais la robe droguet ne passera point.
Le détenu n’use pas son vêtement : c’est le vêtement qui use son détenu. »
Albertine Sarrazin, La Cavale, 1964
Mais le port du costume pénal contribue surtout à une puissante stigmatisation du condamné. Marqué du sceau de l’infamie, il identifie l’individu à un groupe déviant, symboliquement exclu de la société. Il fait ainsi partie intégrante du châtiment.
Associé au numéro d’écrou qui neutralise l’identité de l’individu, il est aussi un outil de dépersonnalisation. Dans la société, le vêtement est en effet un support d’affirmation personnelle et sociale de l’identité, de la personnalité. Le costume pénal efface la personnalité, au profit d’une silhouette anonyme et avilie.
À partir de 1945, la réforme Amor impose l’idée que la prison doit respecter l’identité du détenu, qu’il s’agit là d’une condition nécessaire à tout effort de réadaptation sociale. La peine ne peut imposer à l’individu qui la subit un régime trop aliénant, qui l’éloignerait durablement de la société dans laquelle il est amené à retourner. On doit donc s’efforcer de limiter les contraintes aux seuls effets directs de la privation de liberté.
« Nous-mêmes, dans notre bure de la maison, nous sommes des feuilles mortes et c’est tristement que l’on passe parmi nous. Nous tombons en silence. »
Jean Genêt, Miracle de la rose, 1946
C’est ce hiatus entre la contrainte ségrégative imposée et la mission affirmée de réinsertion qui va amener un recul progressif du costume pénal. En 1975, on ne parle plus de costume « pénal », mais de « costume et effets fournis par l’administration ». La même année, les condamnés incarcérés dans les centres de détention nouvellement créés, et particulièrement orientés vers la réinsertion, sont autorisés à porter leurs propres vêtements en cellule.
Le décret du 26 janvier 1983 supprime définitivement le port de la tenue pénale pour tous les détenus.
« L’astreinte au port du costume fourni par l’administration apparaît comme la survivance d’une époque révolue, dominée par un état d’esprit ségrégatif.»
Nouvelle réglementation instituée par le décret 83-48 du 26 janvier 1983. Circulaire d’application du 28 janvier 1983
Maison centrale de Montpellier : détenues dans la chapelle, 1930 – Photographie d’Henri Manuel (Coll. Enap-Crhcp)
Maison d'arrêt de Metz : détenus au travail, vers 1930 - Photographie d’Henri Manuel (Coll. Enap-Crhcp). Sur cette photographie, on voit nettement la distinction faite entre condamnés et prévenus : les condamnés (au premier plan) portent la tenue pénale et les sabots, les prévenus (à l’arrière-plan) portent leurs effets personnels (chapeaux, chaussures …).
Maison centrale de Montpellier : trois détenues vues de dos, vers 1930 - Photographie d’Henri Manuel (Coll. Enap-Crhcp)
Maison centrale de Clairvaux : détenus dans une cour, 1931 – Photographie d’Henri Manuel (Coll. Enap-Crhcp)
Maison d'arrêt de Fresnes : détenues en promenade – Photographie d’Henri Manuel, 1930 (Coll. Enap-Crhcp)
Le coucher des détenus – Diapositives pédagogiques utilisées dans le cadre de la formation des surveillants (vers 1970 ) (Coll. Enap-Crhcp). Pendant la nuit, le détenu doit laisser sa tenue pénale hors de la cellule.
Maison centrale de Nîmes : détenus au prétoire, 1932 – Photographie d’Henri Manuel (Coll. Enap-Crhcp), On notera le numéro d’écrou cousu sur la manche de la veste.
Maison centrale de Nîmes : détenus au prétoire - Photographie d’Henri Manuel, 1932 (Coll. Enap-Crhcp)
Au travail - Mazas, gravure de Louis Montegut, extraite de « Les prisons de Paris et les prisonniers », par Adolphe Guillot, Paris : E. Dentu, 1890 (Coll. Enp-Crhcp)
Témoignages
« Miracle de la Rose » / Jean Genêt.- Paris : L’Arbalète, 1993
« Ce costume se composait d’une veste en bure brune, sans col ni poches (sauf qu’un détenu avait percé la doublure et fait ainsi une sorte de poche intérieure). Toutes les boutonnières existaient. Tous les boutons manquaient. Cette bure était très usée, pourtant elle l’était moins que celle du pantalon réparé par neuf morceaux de drap dont l’usure était plus ou moins vieille. Il y avait donc neuf teintes différentes de brun. […] Le pantalon devait tenir par ses seuls boutons, sans bretelles ni ceinture, mais tous les boutons manquaient, et cela donnait au costume la tristesse d’une maison dévastée. Je me fis, à l’atelier, deux heures après mon arrivée, une ceinture en forme de corde avec du raphia, et, comme elle était saisie chaque soir par un gâfe, je recommençai … […] Le pantalon était trop petit pour moi. Il m’arrivait au mollet et laissait passer les jambes d’un caleçon long ou mes jambes nues et trop blanches. Le caleçon était en toile blanche, et marqué à l’encre grasse : A. P., ce qui veut dire administration pénitentiaire. Le gilet était en bure, brune aussi, avec une petite poche sur le côté droit. La chemise était sans col, en toile de drap très rude. Les manches étaient sans poignets. Pas davantage de boutons. Il y avait des taches de rouille que je craignis être des taches de merde. Elle était marquée A. P. On change de chemise tous les quinze jours. Les chaussons sont en bure brune. La sueur les rend rigides. Le calot plat est en bure brune. Le mouchoir est rayé de blanc et bleu. » (p. 16)
« Ancien détenu cherche emploi » / Henri Le Lyonnais, Paris : Ed. du Jour, 1974
« La Cour de Cassation confirme en décembre 1948 le jugement des Assises. J’entre dans la catégorie des condamnés définitifs. Ce type de détenu ayant les cheveux rasés, je passe chez le coiffeur. Cette étape est toujours pénible et angoissante. […] La tondeuse, qui cliquète dans mes cheveux, me fait monter les larmes aux yeux. Le dernier espoir de m’en sortir s’en va avec ces mèches tombant au sol. La séance d’habillage, juste après, achève la dégradation. Comme tous les condamnés, je passe la tenue pénale en bure épaisse, chiffonnée et rude comme une grosse couverture. Les pantalons n’ont ni poche ni passant. La veste, sans col et sans remplis, est légèrement doublée aux manches et à mi-dos avec une petite poche intérieure. La chemise à manches courtes a dû être taillée dans une bâche tellement elle est rêche et froide. Les caleçons sont de la même confection. En guise de chaussures, j’écope de sabots en bois. Le tableau est complet lorsque je reçois le béret marron, en bure lui aussi. » (p.111)
Sources :
JULLIEN Emmanuelle, Costume pénal ou vêtements personnels : Quel équilibre entre intérêt des détenus et missions de l'administration pénitentiaire ?, Mémoire, 29ème promotion de Directeurs (DSP), Agen, Énap, 2000, 69 p.
SYR Jean-Hervé, « Une nouvelle réforme pénitentiaire : le décret 83-48 du 26 janvier 1983 modifiant certaines dispositions du code de procédure pénale », in Revue pénitentiaire, 1983, n°4, p. 367-381.
BOULLANT François, « Droguets, bures et cilices (A propos de la tenue pénale) », in Actes. Cahiers d’action juridique trimestriels, 1982, n°37, p. 28-34.
DELMAS SAINT-HILAIRE Jean-Pierre, « Les vêtements du détenu », in Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 1980, n°2, p. 471-479