Histoire & Patrimoine pénitentiaire

Les contemporains de Jean Pinatel

Jean Pinatel,criminologue. Les contemporains de Jean Pinatel

Définition : la dangerosité

Introduction à la criminologie, De GREEFF, 1946 (2e édition) De Greef définit dans cet ouvrage, paru en 1937 sous le titre “L’approche de la personnalité criminelle”, les conditions qui précèdent le passage à l’acte d’un individu, phase qu’il identifie comme étant l’état dangereux. Pour l’auteur, dangerosité et passage à l’acte sont liés dans le processus criminogène.

Les thèses en présence

La réforme de la relégation, LATIVE, 1943
Pour Lative, la dangerosité s’applique aux délinquants qui « soit par leur genre de vie, soit par leurs antécédents personnels, héréditaires ou judiciaires, soit par la nature de leurs infractions constituent un danger permanent ». En conséquence, ils « doivent faire l’objet de mesures répressives particulièrement déterminées ». 2 groupes sont ainsi visés : ceux dont on redoute qu’ils commettent des délits (vagabonds, souteneurs, bonneteurs, malfaiteurs, alcooliques) et les récidivistes, dangereux à cause de leurs antécédents judiciaires. Selon l’auteur, le danger se caractérise par l’association de la probabilité de perpétuation de nouveaux délits et la grandeur du dommage causé à la paix publique. Quant à la récidive, elle est liée à l’état dangereux par des facteurs intrinsèques (tares, mauvaise éducation, hérédité…) associés aux délinquants. Contre cela, il préconise des mesures de répression et d’internement de sûreté pour les délinquants et asociaux comme en Allemagne où cela se fait (loi de 1933).

Jean Pinatel, criminologue. Les contemporains - Enquête sur la délinquance juvénile, HEUYER, 1942

Apports de la psychanalyse et de la psychiatrie infantile

Enquête sur la délinquance juvénile, HEUYER, 1942
Dans les années 30, la psychiatrie infantile devient partenaire indispensable, experte dans la gestion de la délinquance juvénile et va créer la notion d’enfance inadaptée. L’étude particulière de la délinquance infantile apparaît primordiale car elle est jugée indissociable de la criminalité de l’adulte. A partir d’examens médico-sociaux dans les services médico-pédagogiques d’observation et de triage, les psychiatres, comme Heuyer, vont s’intéresser à la personnalité des jeunes délinquants, auparavant ignorée ou réduite à la débilité.

Ils vont tenter de déceler les causes héréditaires, constitutionnelles et les facteurs sociaux qui influent sur la formation du caractère et l’affectivité des jeunes. La délinquance juvénile devient une question criminologique à part entière.

Diagnostiquer l’état dangereux

Le problème de l’état dangereux, publiées par PINATEL, 1954
Pinatel reprend ici le concept d’état dangereux (synonyme de dangerosité) élaboré par Garofalo au 19e siècle (« La criminologie : étude sur la nature du crime et la théorie de la pénalité », 1890). Il le considère comme la notion de base de la criminologie clinique qui se donne pour but de formuler, après l’observation, un diagnostic sur la dangerosité d’un délinquant, dans le but d’éviter la récidive. Dans l’étude de la personnalité criminelle, Pinatel, après avoir déterminé les conditions du passage à l’acte, a tenté de cerner les indices psychologiques qui composent la personnalité criminelle. Théorie mise à mal par les études de prédiction qui contrediront, dans les décennies suivantes le célèbre criminologue français.

Aspects de l’état dangereux : actes du congrès, 1961
Quelques années après la publication précédente, les spécialistes réunis au 2e congrès français de criminologie s’accordent pour retenir la définition de l’état dangereux présentée par Christian Debuyst en 1953 (2e cours de criminologie) : « l’état dangereux est un phénomène psychosocial caractérisé par des indices révélateurs de la grande probabilité pour un individu de commettre une infraction contre les personnes et les biens ». Le délit est bien le symptôme de l’état dangereux. Si la dangerosité est encore présentée comme un concept opérationnel sans réelle attention aux pratiques sociales qui l’ont fait surgir, les criminologues s’entendent pour écarter définitivement le concept d’état dangereux pré-délictuel (Grammatica) qui, en l’absence de délit, permettrait de sanctionner des manifestations extérieures ou des indices « d’antisocialité subjective ».

Les problèmes fondamentaux de la criminalité, KINBERG, 1959
Grand criminologue suédois, Olof Kinberg pose notamment ici la question du diagnostic de la dangerosité qu’il admet comme faisant parti intégrante de la criminologie ce qui implique l’étude de l’homme dans son comportement intégral, total. Il préconise une étude systématique des groupes de criminels pour connaître en détail les mécanismes psychologiques, encore vagues à cette époque, qui mènent au crime.

« L’inquiétant visage d’une certaine jeunesse »

Le crime en France, CHAULOT, SUSINI, 1959
« L’inquiétant visage d’une certaine jeunesse », tel est le constat que les auteurs font à la suite d’actes de vandalisme récents qui « ne laissent plus personne indifférent » (allusion à l’été 1959 : « l’été des blousons noirs » pour la police). Le livre, qui dresse un état du crime en France, insiste sur les délinquants de moins de 18 ans dont les auteurs soulignent la dangerosité en relevant parmi eux certains des traits psychologiques de la personnalité criminelle (Pinatel). Au bilan, pour les auteurs, 70% des criminels sont des déséquilibrés, le reste des asociaux et les délinquants, des malades qu’il faut soigner.

Les jeunes délinquants dans le monde, VEILLARD-CYBULSKY, 1963
L’auteur prétend aborder le problème de la délinquance juvénile dans sa globalité et dans sa dimension sociologique et historique au niveau mondial. Un phénomène social très complexe qui s’amplifie ou diminue dans certaines de ses composantes, sous l’influence de facteurs connus ou inconnus.

Enfants difficiles… Blousons noirs, TOURNIS, CLARYS, 1965
Dans cet ouvrage, la bande devient une forme de délinquance juvénile et est associée à « l’explosion de la violence » sous forme de viol ou de vandalisme. Acte gratuit par excellence assimilé à une sorte de jeu sans règle, le vandalisme surprend et inquiète la société qui se demande si elle n’est pas en train de perdre ses valeurs, voire de disparaître. Les auteurs, comme d’autres, soulignent le rôle de la presse dans l’amplification du phénomène et la violence qui lui est associée

Les blousons noirs, RACINE, SOMERHAUSEN, DEBUYST, 1966
Comprendre ce phénomène apparu sous différentes formes dans le monde et qui n’aura duré que quelques années va constituer un défi et une source de crainte souvent démultipliée par les médias. Les jeunes désœuvrés, constitués en groupe (« Blousons noirs » en France ou en Belgique), se signalent par leur turbulence, voire leur agressivité gratuite envers les passants. L’enquête médico-sociale sur les 27 protagonistes de l’affaire de Midburg (Belgique) menée par Debuyst et ses collègues prouve, en fait, que cette attitude est un aspect contemporain de la délinquance qui trouve ses origines dans les déficiences du milieu familial, les troubles de la personnalité adolescente, le cadre socio-économique, l’échec scolaire et/ou professionnel. En 1966, le phénomène a quasiment disparu mais à Midburg comme ailleurs, c’est le dépassement du seuil de tolérance qui déclencha des poursuites judiciaires et des sanctions pénales. Une réponse bien insuffisante pour les auteurs.

Les Barjots, MONOD, 1971
Sous la forme d’une étude ethnologique au cœur d’une bande, Monod dresse le constat de la fin du phénomène des bandes qui a tant inquiété l’opinion dans la décennie précédente. En ethnologue, il suggère que ce comportement appartient à un processus transitoire d’où le refus par les adolescents d’un modèle de civilisation et de société. Il fallut attendre les travaux des ethnologues et sociologues et les évènements de Mai 1968 et leurs effets pour se demander si ce n’est pas la société qui était inadaptée aux changements et donc, malade.

Violence et insécurité

Réponses à la violence, 1977
Dans les années 70, l’augmentation de la délinquance juvénile, accentuée par la crise économique, dévoile une véritable crise sociale d’où surgit un sentiment d’insécurité, « engendré par la peur, l’émotion, l’exaspération et l’angoisse ». En 1977, un sondage repris dans le rapport révèle que 75% des français estiment que les jeunes sont source de violence. Pour y répondre, le gouvernement de l’époque, sous l’égide du Ministre de la justice, Alain Peyrefitte, commande un rapport qui débouche sur 105 recommandations répressives et préventives visant à renforcer l’efficacité des institutions judiciaires.

La défense sociale nouvelle, ANCEL 3e ed. ,1981
Ancel, l’un des pères de la défense sociale nouvelle, rappelle ici les principes fondamentaux de la défense sociale qu’il a établis dès la 1ère édition en 1954: la prévention du crime et le traitement des délinquants dans un cadre exclusivement légal où la justice pénale n’intervient qu’à l’égard de l’individu qui a commis un délit prévu d’avance par la loi dans le respect de la liberté individuelle et des droits de l’homme. Ancel s’inquiète ici des dérives dues à l’interprétation abusive de la montée de la violence et du sentiment d’insécurité qui risque de mener à une politique criminelle de répression indiscriminée (ex : projet de loi « Sécurité et liberté » en France en 1980) et à des mesures de sûreté ante delictum car l’état dangereux peut se manifester avant même la commission d’une infraction. Pour Ancel, en instaurant un régime préventif discrétionnaire ou un droit d’intervention illimité de l’Etat sur le délinquant potentiel, il y a dénaturation de la défense sociale nouvelle. Il prône quant à lui le maintien du principe de légalité.

Dangerosité et justice pénale, Colloque international (22-25 mai 1979), 1981
La question posée en préambule du Colloque international de l’Université catholique de Louvain pour son 50e anniversaire de sa fondation (22-25 mai 1979) par Christian Debuyst (la notion de dangerosité a-t-elle encore un sens ?) montre à quel point cette notion, en criminologie générale, est alors remise en cause, de son étude scientifique à son utilisation comme outil d’intervention politique. Les Actes du colloque font la synthèse des réponses aux questions autour de cette notion polymorphe, multidisciplinaire, fortement controversée et débattue comme le montre ce rapide tour d’horizon de la littérature depuis le 19e siècle.